Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

muniquent les discours moins savans des cœurs épris. Le livre est bien venu à son heure, dans sa véritable saison; il est fait pour être lu, non sous les ombrages des bois, aux jours brillans de l’année, mais au coin d’un feu brillant. Les flammes n’y manquent pas pourtant, mais ce sont des flammes sans vive chaleur. C’est un livre d’automne, et il a toutes les grâces de l’automne, les tons fins et délicats, les couchers de soleil violacés, les couleurs gracieusement maladives, les lueurs languissamment caressantes. Ainsi d’une part obéissance passive et absolue à toutes les fantaisies de l’imagination, de l’autre absence de chaleur véritable, telle est la double impression que laisse une première lecture.

Le ton général du livre manque d’unité; on dirait que trois personnes fort différentes y prennent alternativement la parole : un poète, un directeur de conscience et un médecin. Je sais bien que M. Michelet me dira que ce n’est pas un amant qu’il veut former, mais un mari, et que le mari doit être à la fois, selon lui, l’amant, le confesseur et le médecin de sa femme. J’adhère à cette bonne intention, mais je ne puis m’empêcher de lui adresser quelques objections. Le livre ne gagne pas, littérairement, à ce mélange trop peu fondu, à ces contrastes violens et heurtés. Il est trop lyrique pour être scientifique, et trop scientifique pour un livre poétique. Le mariage, je le sais bien, a de nombreux rapports avec les sciences médicales; mais l’esprit du lecteur, quelle que soit sa bonne volonté, n’est pas disposé à accepter coup sur coup les impressions les plus diverses. C’est une sensation désagréable que de passer sans transition d’une strophe du Cantique des Cantiques à une théorie de M. Coste, et d’un sonnet de Pétrarque à une planche d’anatomie. Je me laissais bercer par un accent poétique de passion rêveuse, et voilà que subitement je suis éveillé en sursaut par une note choquante : le musicien a changé de ton brusquement, sans vous avertir. Que pensez-vous, par exemple, du contraste de ces deux phrases qui se trouvent dans la même page? « L’oiseau chante, il voudrait articuler. L’homme a la langue distincte, la parole nette et lumineuse, la clarté du verbe; mais la femme, au-dessus du verbe de l’homme et du chant d’oiseau, a une langue toute magique dont elle entrecoupe ce verbe ou ce chant : le soupir, le souffle passionné. » Vous lisez, n’est-il pas vrai? avec un sourire de plaisir, cette exagération poétique d’une observation charmante et vraie, quand tout à coup, en remontant la page, vos yeux s’arrêtent sur les lignes suivantes : « Elle ne mange pas comme nous, ni autant, ni les mêmes mets. Pourquoi? Surtout par la raison qu’elle ne digère pas comme nous. Sa digestion est troublée à chaque instant par une chose : elle aime du fond des entrailles; la profonde coupe d’amour (qu’on ap-