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hérissé, les ressources actuelles de l’art de la guerre, les facilités d’arrivage des secours par les routes ordinaires et les chemins de fer rendraient presque infaillible la perte de l’ennemi. Même à défaut d’une enceinte bastionnée de la force de celle de Portsmouth, et dans l’état de faiblesse des forts détachés qui couronnent l’arête du soulèvement granitique qui forme la ligne méridionale de défense de Cherbourg, la ville serait très difficile à emporter, et l’en- nemi n’en deviendrait maître que pour se trouver en face de la puissante enceinte de l’arsenal, qui exigerait à elle seule un long siège. A balancer les périls et les chances de succès de l’entreprise, il en serait peu de plus déraisonnables.

Il n’en serait pas de même des attaques par mer. Des officiers intrépides, tels qu’en possède beaucoup la marine britannique, ont souvent répété que, si la reine Victoria ordonnait de brider Cherbourg, elle serait obéie. Ne faut-il voir dans ces assurances qu’une vaine forfanterie? Les bassins de l’arsenal sont à 2,500 mètres en arrière de la digue : des mortiers portent à 5,000 mètres des bourbes de nouvelle invention, chargées de matières incendiaires; par conséquent des batteries flottantes cuirassées de fer, comme celles que nous avons employées à Kinburn, peuvent, sans rien supposer de bien extraordinaire, mettre en feu l’arsenal, et plus nos magasins seraient riches en approvisionnemens propres à l’alimentation de l’incendie, plus l’entreprise aurait de motifs d’être tentée et de moyens de réussir. L’attaque, si elle avait lieu, serait nécessairement inopinée. Lorsque le vent était la seule force d’impulsion des navires, la direction même des courans aériens avertissait des dangers qu’ils pouvaient amener, et quand elle était contraire, il était permis de prendre du répit. La vapeur n’admet plus de semblables trêves. On vient de la côte d’Angleterre à Cherbourg en six heures, et par un temps couvert, une nuit sombre, des navires peuvent presque aborder la digue sans que rien ait averti de leur approche. Nos voisins connaissent aussi bien que nous les passes de la rade, et, comme s’ils avaient besoin de se les rendre familières, il est peu de semaine où quelques-uns de leurs yachts ne partent à la tombée de la nuit de la rade de Spithead, ne viennent faire le tour de la digue de Cherbourg, et ne regagnent la côte d’Angleterre le lendemain matin. Il nous est en revanche loisible de faire de semblables promenades autour de l’île de Wight; mais nous nous abstenons de ces représailles par un motif dont il serait injuste de faire un reproche à l’Angleterre, c’est que nous n’avons point de yachts. Voilà pour les conditions nautiques de l’entreprise : ajoutons que le gouvernement anglais n’a jamais partagé ce préjugé continental qui veut qu’on déclare la guerre avant de la commencer. Sa sollicitude attentive est éveillée sans relâche sur l’état de nos moyens d’attaque