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montaient avec le flot. Le soleil ne réglait pas pour eux les heures de travail ou de repos ; leurs heures étaient celles des marées, et hors des jours et des saisons où la basse mer était éclairée par le crépuscule ou par le soleil, la moitié du travail se faisait aux flambeaux. Cependant la mer et les vents ont des fureurs qui déjouent les calculs des hommes; on l’éprouva plus d’une fois dans le cours d’une entreprise faite pour les maîtriser : cette digue, sur laquelle s’amortissent aujourd’hui les plus violens efforts des tempêtes, qui marque la limite entre le tumulte et le calme des flots, était comme une proie offerte à leur rage tant qu’elle ne les aurait pas dominés; chaque tempête amenait des avaries désespérantes, et ce qu’il faut peut-être le plus admirer dans l’accomplissement de cette grande tâche, c’est la constance que n’a lassée aucun mécompte, aucun désastre, et qui, quand elle voyait crouler le travail qui lui avait coûté le plus de soins, le relevait sur ses ruines, et puisait dans chaque malheur un surcroît de courage et de ressources d’esprit. Cette force de volonté, ce calme impérieux dans le danger, furent surtout la vertu de M. Cachin, et ceux qui ont reproché à sa mémoire quelques aspérités de caractère ont oublié qu’on est rarement exempt des défauts de ses qualités, et qu’une opiniâtreté moindre que la sienne se fût probablement épuisée dans cette haute lutte contre les élémens.

Les difficultés du travail s’accroissaient avec l’exhaussement de la digue, et l’on n’a point oublié que le premier objet des résolutions prises en 1802 était l’établissement, au centre de la digue, d’une plate-forme destinée à recevoir un fort; la longueur de cet ouvrage devait être de 195 mètres, et ce court espace devait être le théâtre de bien lamentables enseignemens. Les travaux avaient été conduits en 1803 avec une prodigieuse activité, et dès le 16 août, la population de Cherbourg étonnée vit poindre au large, sur un humble îlot, une batterie de quatre pièces de 36 et de deux mortiers à grande portée. On se hâta d’étendre les ailes de la batterie, et l’on se flattait qu’une construction provisoire en pierre sèche durerait au moins assez pour donner le temps d’en asseoir une plus solide; mais le 18 décembre s’élevait une tempête dont la violence croissante démolit en six jours tous les épaulemens de cet embryon de fort, et le laissa, par une sorte de miracle, isolé, mais debout au milieu des vagues. Chaque accident était une leçon ; on conclut de celui-ci qu’il fallait renoncer aux constructions en pierre sèche, et asseoir le fort sur un terre-plein en maçonnerie; le profil de l’emplacement fut élargi, tant pour fortifier la digue que pour donner au casernement, aux approvisionnemens et aux manœuvres un espace indispensable. Les-magasins furent fournis de vivres et de