Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se soutenir, s’allonger plus qu’ils n’ont fait, et il aurait fallu faire au-delà de l’équivalent de trois digues de Cherbourg. Il y a plus : avec les ressources dont disposait alors l’art de l’ingénieur, il aurait été impossible de conduire l’entreprise à son terme. Le nombre des heures où des bâtimens à voile ont pu verser leurs chargemens sur la ligne de Querqueville à l’Ile-Pelée se serait singulièrement réduit, s’il avait fallu exécuter une manœuvre aussi délicate au travers des courans de marée les plus dangereux. Les moindres vents auraient retenu les navires dans le port, et les dépenses se seraient élevées par ce seul fait dans des proportions effrayantes ; les avaries et les naufrages auraient été désespérans. A en juger par ce qu’a coûté de temps et d’efforts la digue dont nous sommes en possession, on peut affirmer que celle du duc d’Harcourt aurait été absolument inexécutable avec les moyens connus sous les règnes de Louis XVI et de Napoléon, et que, le secours de la vapeur survenant, on ne serait pas aujourd’hui au tiers de l’accomplissement de l’entreprise. Tels ont dû être les calculs auxquels se sont rendus le duc d’Harcourt, M. de La Bretonnière et le maréchal de Castries lui-même, qui n’était point un défenseur nonchalant des intérêts de la navigation. Ils savaient aussi bien qu’aucun d’entre nous les avantages attachés à l’extension du mouillage, et ils n’étaient point hommes à y renoncer sur de faibles raisons.

J’ai demandé un jour (4 avril 1849) à M. Beautems-Beaupré son avis sur l’emplacement de la digue. Il a commencé par s’accuser de l’avoir beaucoup critiqué avant de l’avoir vu; mais l’examen attentif des circonstances locales auquel il avait dû se livrer en faisant en 1832 l’hydrographie de la côte l’avait convaincu que la digue était à peu de chose près sur la seule ligne où elle pût être assise. Portée à une encablure plus au large, elle aurait été entraînée pierre à pierre par la violence des courans; les remous de ces mêmes courans auraient probablement déposé ses dépouilles tant dans les passes que dans l’intérieur de la rade, et au lieu d’élever une digue, on aurait risqué de combler un mouillage. Il ne blâmait point le génie d’avoir exigé que le revers septentrional de la digue fût battu par le canon de l’Ile-Pelée : c’était une des nécessités de la défense; la faute était à ses yeux de n’avoir pas fait le sacrifice des constructions de peu de valeur dues à Dumouriez et au général Decaux, et de n’avoir pas reporté le fort à 400 mètres au nord de l’île. En alignant la digue en conséquence, on aurait fait gagner une quarantaine d’hectares, c’est-à-dire un douzième de son étendue, au mouillage des vaisseaux. M. Beautems-Beaupré ne voyait pas autre chose à regretter. Quatre ans plus tard, j’ai trouvé les lignes suivantes dans le résumé, écrit de la main de Dumouriez, d’une conférence tenue le à septembre 1783 entre MM. de La Bre-