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Dans les troupes accourues alors à la défense de Cherbourg se trouvait un jeune enseigne auquel une place était réservée dans l’histoire. Intrépide, spirituel, présomptueux, improvisateur capable d’application, inépuisable en ressources, se jouant des obstacles dont s’effrayaient les autres, se connaissant et prétendante tout, rarement gêné par ses affections, justifiant une ambition effrénée par d’incontestables talens, subalterne incommode, supérieur facile, aussi propre au conseil qu’à l’action, et quelquefois plus digne d’admiration que d’estime, tel était Dumouriez, le futur vainqueur de Jemmapes. Revenu des guerres de Corse et de Pologne avec le grade de colonel, il fut placé en 1776 dans une commission chargée d’étudier les emplacemens propres à recevoir le port militaire de la Manche, qu’on demandait depuis François Ier. Le gouvernement hésitait encore entre Ambleteuse, Boulogne et Cherbourg. La commission se prononça pour Cherbourg, en se fondant sur les motifs de Vauban, et Dumouriez ajouta au travail commun des observations si frappantes de justesse sur la nécessité de mettre le Cotentin à l’abri d’une autre expédition de 1758, qu’en lisant le mémoire, Louis XVI écrivit en marge : Dumouriez, commandant de Cherbourg.

A peine en possession de son commandement, Dumouriez imprima à toutes les branches de son service l’activité dont il était dévoré, et, comprenant combien la force militaire emprunte d’alimens à l’agriculture et à la navigation, il n’eut garde d’oublier ces deux industries nourricières. Laissons-le faire des mémoires pour l’académie de Cherbourg, créer une artillerie de rempart avec les canons oubliés qu’il fait ramasser le long des grèves, élever des batteries, fonder des forts sans l’autorisation et parfois malgré les injonctions du ministère[1], se désoler de ce que les Anglais de M. de Rémond ne revenaient pas, et arrivons au grand acte dans lequel il n’a pas craint de s’attribuer l’influence prédominante, à la fondation de l’établissement maritime dont nous nous glorifions aujourd’hui. Ce chapitre de notre histoire navale est encore assez confus à quelques égards, et l’on sait imparfaitement quelle fut la part de chacun dans cette création. Une communication due à la bienveillance de M. Le duc d’Harcourt et à celle de M. Le duc de Castries a rectifié mes idées sur beaucoup de choses que je croyais savoir, parce que je les avais entendu répéter. Les correspondances sont plus sincères que les mémoires-, c’est des correspondances que j’essaierai de déduire l’exposé des faits relatifs à une des entreprises qui font le plus d’honneur à la France.

  1. C’est dans ces circonstances que le prince de Montbarey, ministre de la guerre, ayant réprimandé le commandant de Cherbourg sur ce qu’il risquait de compromettre l’artillerie du roi, Dumouriez répondit qu’il avait cru que l’artillerie de sa majesté était faite pour être compromise.