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Laissant, en attendant mieux, la rade comme elle était, il voulait creuser au fond de l’anse du Galet un avant-port, un vaste bassin à flot, construire autour de ce bassin des magasins et des chantiers, et envelopper le tout dans une enceinte fortifiée. Les malheurs et les embarras financiers du dernier tiers du règne de Louis XIV firent renvoyer ces travaux à d’autres temps, et Vauban mourut avec le regret de n’y pas avoir mis la main. De nos jours, ses conseils ont été suivis sur le port, rejetés sur la rade; mais le service éminent qu’il a rendu a été de mettre en évidence la supériorité stratégique de la position de Cherbourg, et de démontrer que l’arsenal de la Manche y devait être et non ailleurs. Pendant le siècle qui s’est écoulé de l’époque de ses études à celle du choix définitif d’un emplacement, la préférence à laquelle il avait conclu a plusieurs fois été remise en question, et toujours on en est revenu à son opinion par les raisons qu’il avait déduites. Cette détermination était le point capital de l’entreprise, et c’est en s’inspirant de son bon sens et de son génie qu’on a élevé sur les bases qu’il avait posées des conceptions fort supérieures aux siennes.

Les écluses et les murs du port de commerce furent relevés en 1738, et tout resta paisible dans le Cotentin jusqu’à la guerre de sept ans. Cherbourg fut alors témoin d’une défaillance inexplicable. Le comte de Rémond, maréchal de camp, y commandait en 1758 quatre bataillons d’infanterie, deux cents dragons et trois mille gardes-côtes. Le 2 mai, une flotte anglaise d’une centaine de voiles vint défiler devant la ville; elle se représenta le 29 juin, mouilla, et repartit le surlendemain. Ces deux avertissemens donnés, elle débarqua le 5 août un corps de six mille hommes d’infanterie et de six cents chevaux au pied des coteaux d’Urville, à 10 kilomètres à l’ouest de Cherbourg. Ce lieu, nommé l’Endemer, est l’extrémité d’une plage dominée par des collines dont un contrefort la ferme à Querqueville; les Anglais y étaient au fond d’un hémicycle, exposés de tous côtés à des feux plongeans. Assis sur une croupe dont la mer baigne le pied, le village de Querqueville offre dans son église et son cimetière une position presque inexpugnable, et cet obstacle surmonté, l’ennemi trouvait dans la petite plaine de Sainte-Anne un terrain non moins défavorable. Il ne fallait qu’avoir des armes pour écraser les Anglais dans leur marche. Un bataillon du régiment irlandais de Clare demandait à les charger à mesure qu’ils mettraient pied à terre; M. de Rémond le fit retirer. Supposant un piège caché sous cette inaction, l’ennemi mit trois jours à se former et à franchir les deux lieues qui le séparaient de son but. Ces trois jours, le comte ne les perdait pas; il faisait enclouer ses canons; il opérait son déménagement sur Valognes; il coupait derrière lui des ponts dont la rupture ne gêna que ceux qui