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l’état où l’avait mis une fausse appréciation de la politique de Guillaume III, et il n’eut rien à rétracter de ses premiers sentimens. Il écrivait en 1694, à l’aspect de ces ruines :


« La surprise du commencement de cette guerre a causé la démolition de cette place, à qui il ne manquoit plus que cinq ou six mois de travail pour être dans un très bon état de défense. Elle se trouvoit sur le milieu de la Manche, à vingt-cinq lieues de la côte d’Angleterre, occupant naturellement le derrière de toutes les descentes de la presqu’île, fortifiée sur un dessin qui la rendoit la meilleure place du royaume. C’étoit une des clés les plus importantes de l’état et l’une de ses bornes les mieux marquées. Cette place est tellement démolie qu’on n’y connoît plus trace de fortification vieille ni nouvelle que par les monstrueux quartiers de murailles renversées des vieilles tours de son château, que je n’ai pu voir sans mal de cœur... Suivant le dessin qui en avoit été fait, le bassin de Cherbourg auroit contenu à flot vingt-cinq à trente frégates de quarante-quatre pièces de canon, et son avant-port toute sorte de bâtimens qui auroient pu échouer. Il est présentement comme il étoit avant qu’on eût touché à cette place. »


Le rapport que fit en 1700 M. Le Peletier, inspecteur-général du génie, exprime les mêmes sentimens. « Cherbourg, fortifié en 1687 par M. de Vauban, avoit, dit-il, cinq grands bastions et des ouvrages avancés... Les bastions étoient au cordon quand on a rasé l’ancienne et la nouvelle enceinte. Il en a coûté à peu près pour cette opération ce qu’il en auroit coûté pour tout terminer. » M. Le Peletier aurait pu ajouter que si les batteries élevées par Vauban étaient restées debout, elles auraient probablement sauvé l’équivalent de leur valeur dans les cinq vaisseaux échappés du désastre de La Hougue, qui furent attaqués et brûlés à leur portée par dix-sept vaisseaux anglais.

Quand les rades de La Hougue et de Cherbourg étaient dans leur état naturel, la première pouvait mettre en sûreté plus de vaisseaux de ligne que la seconde de bâtimens de flottille. Cette donnée était assez spécieuse pour inspirer la pensée de créer à La Hougue un établissement capable de sauver une flotte de la force de celle que nous y avions perdue le 29 mai 1692[1], et Vauban fut chargé d’en étudier les projets. Il fit comprendre qu’une position que les vents d’ouest rendaient inaccessible, dont ceux de l’est et du nord favorisaient l’attaque et paralysaient la défense, où la retraite était incertaine et la faculté d’entreprendre très limitée, ne pouvait jamais avoir

  1. Quelques historiographes des fêtes de Cherbourg et de Brest ont fait du cap de La Hague le témoin de la glorieuse défaite de Tourville. C’est à vingt lieues de là, à l’est de la presqu’île du Cotentin, en vue de La Hougue, que la bataille a été donnée. On peut consulter à ce sujet, entre autres documens, les cartes n° 846, 847 et 849 du dépôt de la marine.