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continent que par une étroite chaîne de collines ; les eaux de la mer en baignaient vers Port-Bail les deux bords; elles remplissaient la profonde échancrure de 18,000 hectares de surface dans laquelle de lentes alluvions ont formé les marais du Cotentin. Ces marais ont été longtemps absolument impraticables; on ne les traversait encore, quand Vauban les visita, que sur la chaussée fangeuse de Carentan ou sur une rangée de grandes pierres espacées de deux en deux pieds au-dessus de la vase fluide : les marais franchis, il restait à gravir, au travers de bois dans lesquels l’infanterie elle-même ne cheminait que la hache, la serpe et la pioche à la main, le soulèvement rocailleux qui forme le front septentrional de la presqu’île : pour peu que les crêtes en fussent défendues et que l’isthme fût intercepté, Cherbourg, facilement abordable par mer, était presque inaccessible par terre. Si tel était encore le pays sous Louis XIV, que devait-ce être sous les premiers Valois, et quelles facilités les Anglais n’avaient-ils pas d’y descendre et de s’y maintenir sous la triple protection des marais, des bois et des montagnes?

La difficulté de communiquer de l’intérieur avec Cherbourg était, comme on voit, fort grande en 1686; elle impliquait la difficulté même de lui porter secours, et de là suivait l’obligation de tenir sur place les forces nécessaires à la défense. La ville qui s’offrit aux yeux de Vauban était précisément celle que le connétable de Richemont avait replacée sous le sceptre de Charles VII ; c’était le moyen âge dans toute sa négligente âpreté. Sombre et malsaine, elle gisait entre de hautes murailles à l’ouest du bassin du commerce actuel, et son port était la partie profonde d’une lagune qui s’étendait sur les emplacemens de notre bassin de réserve et des quartiers adjacens. C’est sur ces bases étroites qu’il s’agissait d’établir un refuge pour une flotte et une place capable de soutenir un siège en règle contre l’art moderne. L’état des finances et celui de l’atterrage résistaient d’ailleurs à l’adoption de trop vastes projets. La mer avait à l’ouest du mouillage assez de profondeur pour le flottage des vaisseaux de ligne; mais le creusement d’un port sur ce point exigeait des sacrifices que le trésor était hors d’état de supporter; la transformation du port de l’est était praticable, à la condition de n’y recevoir que des frégates. Pour rester dans les limites du possible, on se résigna au second parti. Vauban estima les dépenses indispensables à 2,102,409 livres. Creusée d’un côté, remblayée de l’autre, la lagune sur l’emplacement de laquelle est aujourd’hui le bassin du commerce devint un port pourvu d’écluses de chasse et capable de contenir quarante frégates de vingt à quarante canons et autant de bâtimens marchands; les faubourgs furent enveloppés dans une enceinte bastionnée; des quartiers salubres et des magasins pour trois mille hommes d’infanterie et trois