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lectations d’un cercle intime. De froissemens, il ne pouvait y en avoir pour elle à la cour de son beau-frère ; mais sa présence en pouvait susciter. Il est de ces ennuis, de ces désappointemens de toute une existence dont rien ne console, et qui finiraient par aigrir le cœur d’un ange. L’épouse de Frédéric-Guillaume IV, la reine Elisabeth, n’ayant point eu d’enfant, ne pouvait voir dans Mme la princesse de Prusse que l’heureuse mère de l’héritier du trône. On pardonne volontiers la beauté, l’intelligence, la jeunesse ; mais il est de ces dons de la Providence que l’âme la plus noble et la plus pure s’oublie à jalouser, même chez une sœur. Loin de chercher à s’enorgueillir des avantages de sa situation, Mme la princesse de Prusse au contraire s’est toujours efforcée de les faire en quelque sorte excuser, vivant peu à Berlin, et beaucoup à Coblentz et dans le grand-duché de Bade, où ses vertus, sa parfaite bienveillance, son tact exquis, l’ont rendue populaire. Combien à sa place n’eussent vu dans l’occupation du grand-duché par les troupes prussiennes qu’une occasion de dominer et de paraître ! La princesse de Prusse comprit autrement son rôle, et c’est à force de mesure et de goût, à force de bienfaits pour les uns et de gracieuses déférences pour les autres, qu’elle parvint à faire accepter l’autorité temporaire de son mari dans un pays conquis sur les bandes révolutionnaires, mais dont il fallait éviter de froisser et les populations qu’on voulait sauvegarder, et la famille souveraine qu’on voulait maintenir. En dépit de ses rares instincts d’artiste. Mme la princesse de Prusse était née pour la politique. Si vous retrouvez en elle le sang de ce Charles-Auguste qui fut jadis l’ami de Goethe, il faut reconnaître en même temps qu’elle est bien la digne fille de sa mère, Mme la grande-duchesse douairière de Saxe-Weimar, sœur aînée de l’empereur Nicolas. À Weimar, sous le dernier règne, la grande-duchesse Maria Paulovna était l’âme de la cour et de tout ce charmant pays qui lui doit tant. Schiller chanta des hymnes à sa gloire, et Goethe, dont l’inspiration badine volontiers avec les plus fières, ne ressentit en sa présence d’autre émotion que celle du respect. On n’imagine-pas en effet de physionomie plus imposante, et sous une froideur apparente plus de bonté, de douceur, de sympathie. Mme la princesse de Prusse exerce, comme sa mère, un ascendant à la fois intellectuel et moral auquel pas plus à Bade qu’à Berlin ses ennemis n’ont jamais pu se soustraire.

L’avènement constitutionnel de la Prusse a été laborieux, incertain, parfois rétrograde ; il n’en est que plus instructif, et, nous l’espérons, il n’en est que plus vivace. On reprochait à la race allemande d’être trop spéculative, tour à tour abstraite et violente, de se complaire à la vague indépendance des systèmes mieux qu’elle ne s’entend à la liberté pratique des institutions : c’est même contre