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amenèrent la démission du général de Bonin, ministre de la guerre. Partout ailleurs que dans le sein de cette famille royale si profondément unie, un tel incident eût pu entraîner les plus fâcheuses conséquences. L’inviolable amitié que ces deux nobles cœurs s’étaient vouée d’enfance résista à cette épreuve comme à tant d’autres, et si le prince de Prusse fut en effet au moment de s’éloigner des affaires, le roi répondit à ces velléités de découragement en le nommant général supérieur de l’infanterie, dignité équivalente à celle de feld-maréchal, dont il n’est pas d’usage en Prusse qu’un prince du sang soit revêtu.

Cette tendre et pieuse affection des deux illustres frères, contre laquelle aucun événement n’avait jamais prévalu, explique la crise de douloureuse hésitation par laquelle eut à passer le prince de Prusse, lorsque, du vivant du roi son frère, il fut mis en demeure de prendre en main la souveraineté. Continuer telle quelle la politique de Frédéric-Guillaume IV, qu’il avait dans ces dernières années surtout publiquement désavouée, cela ne pouvait convenir à la dignité de son caractère. D’autre part, l’honnêteté de sa conscience lui reprochait d’apporter au gouvernement des principes qu’il savait n’être pas entièrement ceux du roi. Que penserait de sa conduite Frédéric-Guillaume IV ? Que dirait de ces changemens son bien-aimé frère, si par bonheur il arrivait à son esprit de s’éveiller un jour de cette léthargie qui l’accable ? Ajoutons que le bruit de ces changemens pouvait parvenir aux oreilles de l’auguste malade à travers les commentaires les plus malveillans. Scrupules, dira-t-on : va pour les scrupules, d’autant plus que du temps où nous vivons ils deviennent assez rares pour qu’on en fasse cas, même chez ceux qui sont appelés à gouverner les hommes. Du reste, de pareils mobiles ne se rencontrent guère que dans les âmes élevées, et ne sauraient en rien contredire la fermeté qui est une des remarquables qualités du régent comme de sa noble compagne.

On a beaucoup parlé de la rare beauté de Mme la princesse de Prusse ; on a vanté sa haute intelligence, son instruction variée et solide, son goût passionné pour les sciences, les lettres et les arts. Tous ces avantages sont réels, et si vous interrogiez M. de Humboldt, qui, je suppose, doit s’y connaître, il vous dirait que le mérite ici passe l’éloge ; mais une supériorité qu’on n’a, selon nous, point assez remarquée chez cette aimable personne, c’est la force de caractère, c’est aussi un grand bon sens joint à beaucoup d’imagination, une volonté implacable, un tact suprême dans l’art de la conduire, de la modérer, de la déguiser au besoin. Personne ne fait davantage en ayant l’air de si peu faire. Cette loi de toujours vivre à l’écart qu’elle s’était imposée, peut-être faudrait-il en chercher la raison autre part que dans ses goûts naturels pour l’étude et les dé-