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citer autour de soi de grands poètes et leur imprimer un généreux élan vers les questions d’intérêt général, comme la chose advint jadis à cette petite cour de Weimar, dont on ne saurait trop haut porter la renommée ; mais les Charles-Auguste sont rares dans l’histoire, et tout le monde n’a pas Goethe et Schiller sous la main. Somme toute, en cette occasion comme en tant d’autres, on fut injuste et cruel envers ce roi aux instincts élevés, aux mœurs nobles, car s’il pouvait mieux faire, il pouvait aussi faire plus mal, et rien ne l’empêchait en dernière analyse de se faire traduire les vaudevilles du Gymnase ou du Palais-Royal.

M. de Sternberg trace quelque part l’amusant tableau d’une fête de cour où le roi Frédéric-Guillaume, qu’il désirait tant voir, lui apparut pour la première fois. Cela se passait aux environs de 1848. La noblesse de province était accourue in fiocchi ; Cornélius, se laissant distraire de ses compositions religieuses, avait peint en style dramatique, et d’une grâce légèrement affectée, diverses héroïdes empruntées à la Jérusalem du Tasse ; tous les poètes, tous les musiciens, et aussi tous les ministres et tous les diplomates, étaient là, car avec Frédéric-Guillaume IV, Meyerbeer et Cornélius, Rauch et Tieck passaient d’abord ; Eichhorn et Stolberg, Uzedom et Gerlach ne venaient qu’après. Mais parcourons, sur les pas de M. de Sternberg, cette splendide fête, comme Berlin n’en avait plus revu depuis l’éclat des jours où l’aigle prussienne étreignit dans ses serres un sceptre royal. « Je ne me sentais, au milieu de tout ce brouhaha, de curiosité et d’intérêt que pour une seule personne, le reste me touchait peu. Soudain, à travers cette foule compacte, un chemin s’ouvre dans l’immense étendue des salons, et par cette voie un homme s’avance en domino noir, le lorgnon à l’œil et saluant de côté et d’autre sur son passage. C’était le roi, la seule figure vêtue de couleur sombre dans cette multitude bariolée. Comme je me trouvais placé dans la direction de son lorgnon, il s’approcha de moi et me parla de mon dernier ouvrage en termes vraiment aimables qui n’avaient aucun air de ressemblance avec ces banalités obligées que les princes balbutient d’ordinaire à l’auditeur bénévolement incliné. J’ai peu à dire de la physionomie d’u roi, médiocrement avenante, si l’on ne tient compte que de l’élégance du maintien et de la beauté des traits, mais d’une séduction irrésistible au point de vue de la douceur affable, de la sérénité, de l’extrême bienveillance de l’expression. »

N’ayons garde d’oublier l’expression spirituelle parmi les signes caractéristiques de cette figure du roi. Il fallait le voir après dîner, sa tasse de café à la main, allant familièrement de l’un à l’autre et causant de toutes choses avec une verve, un piquant, une bonne