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ses bienfaits. Une constitution, peut-être se fût-il décidé à l’octroyer, mais à son jour, à son heure, après l’avoir élaborée à l’écart, en silence et lentement imprégnée de toutes les poésies traditionnelles, de tout le mysticisme du passé. Au lieu de cela, on la lui prit de force. Il pensait, il voulait en roi; mais le siècle était pratique et positif. Temps qui s’agite, roi qui rêve, ne sauraient faire bon ménage ensemble. Que de malentendus, de tribulations et de misères ! En 1848, il fallut rompre, et si depuis le divorce avait cessé, les tiraillemens ne cessaient pas. Dieu, qui lit dans le cœur des rois, connaît seul le secret du mal qui trouble aujourd’hui cette honnête et vaste intelligence, et tout ce qu’il y a d’illusions déçues, de mécomptes essuyés, de loyaux et tardifs regrets au fond de l’incurable mélancolie dont Frédéric-Guillaume IV s’en va languissant comme un autre roi Lear.


II.

Il n’importe : à cette époque, vers laquelle nous ramènent les Souvenirs de M. de Sternberg, rien d’irréparable n’avait encore eu lieu ; il pouvait y avoir des difficultés, des froissemens, mais tout cela sans grande conséquence; le découragement. Dieu merci, ne se laissait pas pressentir, et contre les soucis de l’heure présente que de consolations dans la poésie et les beaux-arts! Frédéric-Guillaume IV ne créa pas le mouvement romantique, lequel fut, en Allemagne, le produit du sentiment national surexcité contre la France par les guerres de l’empire; mais il s’en appropria les restes en dilettante raffiné, on pourrait presque dire qu’il mit en bouteilles pour le déguster tout à son aise cet esprit du passé qui déjà menaçait de s’évaporer. Le vieux Tieck, quand il lisait Phantasus et Zerbino à Charlottenbourg, quand il voyait représenter le Chat botté sur le théâtre de Potsdam, pouvait se croire aux beaux jours de sa jeunesse, alors que tant d’aimables chefs-d’œuvre dont nous ne nous occupons plus guère aujourd’hui électrisaient les générations nouvelles. Une autre gourmandise littéraire de ce roi bel esprit était de se faire jouer l’Antigone de Sophocle, ou le Songe d’une nuit d’été de Shakspeare avec la musique de Mendelssohn. Hélas! qui le soupçonnerait? ces goûts, tout innocens, tout honorables qu’ils nous paraissent-, et qui, chez un grand seigneur ordinaire, eussent provoqué l’admiration, ne rencontrèrent dans le public que froideur et moquerie. L’opposition en prit texte pour reprocher à l’illustre Mécène de s’isoler de la nation jusque dans ses plaisirs. Que cet archaïsme ne répondît pas aux besoins du moment, nous le voulons bien et sommes de ceux qui pensent qu’il eût été beaucoup plus beau de voir un prince sus-