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jets de conversation et d’étude, et pour passer à des motifs moins surannés, le voilà qui se met à nous raconter le prince Pückler-Muskau. L’auteur de Semilasso, des Lettres d’un Mort, et de plusieurs autres ouvrages déjà oubliés en Allemagne, et que la France a naturellement toujours ignorés, devait, en sa qualité de grand seigneur, tenir sa place dans ces mémoires. Quant à nous, c’est avec un vif plaisir que nous l’y avons revu. Écrivain, homme du monde et dandy, M. de Sternberg touchait par trop de points à son modèle pour rester au-dessous d’une pareille tâche, et nous osons affirmer que cette fois la copie vaut l’original. On se souvient du Pelham de Bulwer; la gloire du prince Pückler-Muskau remonte à cette époque. C’était alors le beau moment du dandysme ; Casanova et Byron tournaient encore les têtes. A Brummel avait succédé le beau d’Orsay. Hélas! que sont-ils devenus aujourd’hui, tous ces rois de la mode? Le vent de la démocratie les a dispersés comme les autres. N’importe, il fallait que cette couronne exerçât alors une attraction bien puissante, pour tenter un vrai prince, une vraie altesse, ayant ses états et ses peuples. «Mon métier et mon art, c’est vivre, » disait Montaigne. Le prince Pückler prit au sérieux la théorie, et pour prouver qu’il savait vivre, il eut des maîtresses qu’il afficha, des chevaux qu’il fit courir, et des duels dont Paris et Londres s’occupèrent. Les voyages forment l’esprit et le cœur; le prince Pückler parcourut le monde en touriste ennuyé, sceptique, moqueur, insouciant du but, et voyageant pour voyager. De là cette horreur affectée pour tout ce qui ressemble à un plan quelconque, ce nonchalant et prétentieux persiflage, ce dédain sublime à l’endroit de tous les grands intérêts de la vie, qu’il ne touche guère que du bout des lèvres, et de cet air indifférent dont un homme qui a le ventre plein émiette un biscuit sur la nappe, ce qui ne l’empêche pas de coqueter avec les idées libérales, mais à la condition de n’y point croire, et d’avouer, quand l’occasion s’en présente, que les plus grandes époques de l’histoire sont celles où le despotisme et l’esclavage ont régné[1]. La vérité est qu’il se moque de tout. Épicurien rusé, rasé, blasé, il n’aime au monde que lui et ses plaisirs, et ne vaut en somme ni plus ni moins que le temps où il a vécu. Après s’être fermé l’Angleterre par ses épigrammes, il rêva des voyages extravagans, partit pour l’Egypte et remonta le Nil, ayant à bord son attirail de cuisine et toute la boutique d’un parfumeur. Il va sans dire que les châles et les caftans eurent leur rôle

  1. Autre part il débite toujours avec la même puissance de conviction que, « la civilisation moderne reposant sur l’élément barbare, un despotisme bien entendu et même l’esclavage sont les seuls moyens qu’il y ait de gouverner une nation et de la rendre active et redoutable. »