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ne réponde pas à l’idée du personnage que ses préjugés d’homme comme il faut lui représentaient. De là d’injustes épigrammes.


« Sa tenue, écrit M. de Varnhagen, était embarrassée ; on y voyait la lutte d’une volonté pressée d’atteindre son but en même temps que le mépris de ceux qu’elle employait. Peut-être n’eût-il pas été fâché d’avoir une physionomie moins déplaisante, mais il aurait fallu s’en donner la peine, et il ne daignait pas; je dis s’en donner la peine, car de sa nature il n’avait rien d’agréable. C’était un mélange de négligence et de raideur qui se trahissaient simultanément dans une sorte d’agitation et de malaise. Ses yeux sombres et cernés avaient pour habitude de se fixer sur la terre et dardaient par saccades des regards aigus et rapides. S’il riait, la bouche seulement et le bas des joues y prenaient part, le front et les yeux demeuraient impassibles, et lorsqu’il leur faisait violence, comme j’eus l’occasion de l’observer plus tard, son visage en conservait une expression encore plus grimaçante. Cet alliage du sérieux et du rire avait quelque chose d’effrayant et de hideux. Je n’ai jamais compris pour ma part quelle idée pouvaient avoir les gens qui prétendent avoir saisi sur ce visage des traces de douceur et de bonté. Ses traits, d’une beauté plastique incontestable, étaient froids et durs comme le marbre, étrangers à toute sympathie, à toute émotion cordiale. Ce qu’il disait, — du moins à en juger par ce que j’ai mainte fois entendu, — était presque toujours mesquin par le fond aussi bien que par la forme, sans esprit, sans élévation, sans valeur. Sur le terrain de la conversation, où il avait la faiblesse de vouloir qu’on l’admirât, rien ne lui réussissait. »


Il est vrai qu’en revanche sur d’autres terrains les choses allaient mieux, sans quoi nous ne verrions pas l’auteur de ce portrait mettre tant d’animosité dans son langage. L’homme de salon se complique ici du patriote, dont les rancunes ont survécu, et M. de Varnhagen use et abuse du droit de se montrer acerbe et malveillant. Étrange façon de juger un héros que de lui reprocher de n’avoir pas de belles manières! Les grands hommes ont le privilège de pouvoir n’être pas aimables tous les jours, et ne sont amusans qu’aux dépens de leur propre dignité. Quel besoin avait Napoléon d’être un causeur brillant? A défaut de l’éloquence qui charme et persuade, n’avait-il pas celle qui tranche les situations? Sa personnalité connue ses discours agissaient quand il le fallait, dans les conseils, sur les champs de bataille. Toute grandeur a sa beauté. Demander à l’homme que la révolution française avait choisi pour défendre et faire triompher sa cause les qualités d’un monarque né sur le trône, c’est vouloir à plaisir se méprendre. La beauté de Napoléon ! elle est dans le général Bonaparte. Qu’on aille voir à la villa Appiani, sur les bords du lac de Côme, le portrait du vainqueur d’Arcole, et qu’on nous vienne dire ensuite que cette figure manque d’idéal!

M. de Sternberg ne veut plus qu’on parle de Goethe et de Schiller; il trouve désolant qu’on retourne sans cesse à ces éternels su-