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avait d’abord élevé la voix. L’éveil une fois donné dans les chenils, l’alarme avait dû gagner de proche en proche, et par des nuits calmes comme celle-ci il n’était pas impossible que ce long aboiement se répandit de l’autre côté du Sahel, et de gourbi en gourbi, de ferme en ferme, de village en village, se prolongeât par un écho continu jusqu’au fond de la plaine.

Je ne me suis endormi qu’aux approches du jour, et cependant, dois-je avouer de pareils enfantillages ? cette nuit singulière m’a paru courte.

Ce que j’ai récapitulé de souvenirs, le nombre de lieux que j’ai revus, le nombre aussi des années écoulées qu’il m’a semblé revivre, je ne saurais l’écrire, car je n’aurais pu les noter même au passage. C’étaient des visions instantanées, rapides, mais d’une vivacité qui m’allait au cœur comme un aiguillon. Elles se succédaient aussi précipitamment que les bruits, et, chose bizarre, au milieu de tous ces aboiemens à peu près pareils, je distinguais des notes très diverses et des tonalités particulières dont chacune avait pour ma mémoire une signification précise et correspondait à des réminiscences. Les uns représentaient telle province de France, les autres telle époque ou telle aventure de m’a vie que je croyais oubliée, et qui ne l’était pas, ma vie de campagne surtout et mes années de voyages, les deux périodes où je m’intéi essai aux bruits champêtres et vécus le plus activement. Que de coins de pays dans l’ouest, vers la Manche ou vers le Midi, que de petits villages dont je n’ai pas gardé le nom, et que j’ai pour ainsi dire habités cette nuit pendant quelques secondes, grâce à ce mécanisme prodigieux de la mémoire appliquée aux sons !

D’autres voix plus farouches ou plus rauques, ressemblant davantage à des miaulemens, me remémoraient mes séjours en Afrique. Pour la plupart, je les reconnaissais, à les entendre se répéter à la même distance, dans une direction fixe et à des intervalles toujours égaux. Il m’est arrivé d’attendre avec anxiété la voix correspondante à tel souvenir, soit pour me pénétrer mieux du plaisir que j’en éprouvais, soit pour le continuer si d’autres l’avaient interrompu.

Ce matin, presque toutes ces visions ont disparu, à l’exception de quelques-unes dont l’impression demeure. Je me souviens surtout d’avoir pensé longtemps, en écoutant la voix très reconnaissable d’un chien bédouin, à une nuit d’hiver aigre et glacée passée dans un petit douar, vers l’extrémité du tell de Constantine. C’était en pleine montagne, hors des routes et dans un pays des plus âpres. Il y a de cela plusieurs années. J’étais arrivé le soir après une longue étape ; à peine avais-je eu quelque minutes de