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digne d’aborder à cette montagne sacrée où de saints personnages, qui ont atteint à la perfection, vivent de la vie naturelle !…

En achevant ces paroles, le vieillard déposa sur l’autre rive du torrent le pauvre Pao-ly, surpris et troublé. Lorsque celui-ci eut pris terre, son premier mouvement fut de se tâter ; il lui manquait quelque chose, cette dépouille que les flots emportaient avec les souillures passées… Un soupir s’échappa de sa poitrine ; il aurait voulu demander au vieillard si, en dépouillant le vieil homme, une partie de son cœur ne lui avait point été enlevée !… Mais l’esquif ne se montrait plus à ses regards. Il n’apercevait, sur les flots tourmentés du torrent, rien autre chose qu’un cygne blanc qui voguait avec fierté, le cou rejeté en arrière, l’aile entr’ouverte.

Pao-ly regretta peut-être un instant de s’être aventuré dans ces hautes régions. Lorsqu’il comprit que tout moyen de retourner en arrière lui était enlevé, il leva les yeux sur la montagne lumineuse dont l’éclat l’avait attiré et reprit courage. La montagne qui s’offrait à sa vue était en grande partie stérile. À peine si quelques arbres, au maigre feuillage, poussaient entre les rocs. Un petit sentier, bordé de plantes épineuses, s’ouvrait devant ses pas ; il le suivit et arriva bientôt à une caverne spacieuse dans laquelle les rayons du soleil pénétraient librement. Tout au fond de cette grotte, décorée à l’intérieur de colonnes et de chapiteaux, se dressait la statue de Bouddha, que les Chinois appellent Fo. Les jambes croisées, le doigt levé, la divinité, au visage aplati, aux lèvres épaisses, aux oreilles pendantes, semblait trôner au milieu d’un nuage d’or. Pao-ly se prosterna devant la sainte image et fit une longue prière. Quand il se releva, il aperçut un morceau de bois, en forme de pinceau, suspendu à la muraille au moyen d’un anneau de fer. C’était comme un mince fuseau de bois, sculpté dans toute sa longueur et pareil à ceux dont se servent les Chinois pour tracer les caractères de leur écriture, mais à l’extrémité duquel on n’avait point ajouté la touffe de poils de fièvre qui doit tremper dans l’encre. Sous ce pinceau d’un nouveau genre se trouvait une planche carrée et recouverte d’une couche épaisse de sable fin. À côté de la planche, un bonze, accroupi sur une natte, se livrait à la méditation.

Ce bonze était le gardien du sanctuaire. Pao-ly le salua par trois fois en appuyant son front sur la terre, et lui demanda ce que signifiaient la table couverte de sable et le pinceau suspendu au plafond de la grotte. — Je vais vous le dire, répondit poliment le bonze. Quand les hommes du siècle ont quelque pensée qui les trouble, que peuvent-ils faire ? Rien autre chose que d’accomplir des actes extérieurs de piété, brûler des parfums, s’agenouiller devant les images. Mais, moi, je sais des formules magiques par lesquelles je puis obtenir pour eux, du dieu que je sers, une réponse aux doutes qui les