Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des feuilles et des fleurs ; l’odeur des orangers les enveloppe, et l’intérieur en est tout parfumé.

Les jardins ressemblent à des joujoux d’art destinés à l’amusement de la femme arabe, cet être singulier dont la vie longue ou courte n’est jamais autre chose qu’une enfance. On n’y voit que petites allées sablées, petits compartimens de marbres creusés de rigoles, où l’eau serpente et dessine en courant des arabesques mobiles. Quant aux bains, c’est encore un séjour imaginé par un mari poète et jaloux. Figure-toi de vastes citernes où l’eau n’a pas plus d’un mètre de niveau, dallées du plus beau marbre blanc et ouvertes par des arceaux sur un horizon vide. Pas un arbre n’atteint à cette hauteur ; quand on est assis dans ces baignoires aériennes, on ne voit que le ciel et la mer, et l’on n’est vu que par les oiseaux qui passent.

Nous ne comprenons rien, nous autres, aux mystères d’une pareille existence. Nous jouissons de la campagne en nous y promenant : rentrons-nous dans nos maisons, c’est pour nous enfermer ; mais cette vie recluse près d’une fenêtie ouverte, l’immobilité devant un si grand espace, ce luxe intérieur, cette mollesse du climat, le long écoulement des heures, l’oisiveté des habitudes, devant soi, autour de soi, partout, un ciel unique, un pays radieux, la perspective infinie de la mer, tout cela devait développer des rêveries étranges, déranger les forces vitales, en changer le cours, mêler je ne sais quoi d’ineffable au sentiment douloureux d’être captif. Ainsi naissait au fond de ces délicieuses prisons tout un ordre de voluptés d’esprit qui sont à peine imaginables. Au surplus, mon ami, ne me trompé-je pas en prêtant des sensations très littéraires à des êtres qui assurément ne les ont jamais eues ?


Mustapha, fin décembre.

J’ai passé la nuit dernière à entendre aboyer des chiens. La campagne était en rumeur, et je ne crois pas qu’il y eût aux environs un seul de ces animaux, soit errant, soit à l’attache, qui ne criât, et dont je ne pusse entendre la voix. Comme la nuit était humide, l’air tranquille et sonore, je calculais, d’après la décroissance indéfinie des bruits, que les plus faibles devaient m’être apportés de plus d’une lieue.

D’abord je craignis un incendie, mais je n’aperçus pas la plus petite lumière ni à terre, ni dans la baie ; hormis ces bêtes glapissantes, tout dormait dans une sécurité profonde et sous le paisible regard des étoiles. Les chiens criaient pour se répondre, comme ils ont l’habitude de le faire, parce que quelque part un des leurs