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sance sur une victoire craint d’appuyer sur une défaite et de lui donner trop de retentissement et d’éclat. Et ici ce n’est pas seulement Athènes, c’est l’orateur qui était vaincu, à qui la liberté était ôtée, et qui, dans cet accomplissement d’un devoir public, contraint et compromis, devait refouler presque tout ce dont son came était pleine, et s’effacer plutôt que se déployer. Est-ce au lendemain de Waterloo qu’on aurait dignement célébré l’héroïsme de cette journée? Quoi qui puisse manquer à ce discours, on est tenté de croire, avec M. Villemain, qu’on y reconnaît parfois Démosthène; mais on n’en est pas assez assuré pour qu’il importe d’y rechercher les traces de l’art d’Isocrate, qu’il serait aisé d’y suivre en effet.

Allons plutôt à ce discours d’Hypéride, magnifique découverte qui date d’hier, dont le sujet est l’éloge des morts de la guerre lamiaque et de Léosthène, leur chef[1]. On est à quinze ans de Chéronée. Philippe est mort, Alexandre est mort, et leur héritier, Antipater, vient d’être vaincu. Dans un discours bref et rapide, car ces discours, réellement prononcés dans la solennité des funérailles, ne comportaient pas les pompeuses lenteurs des compositions isocratiques, l’orateur célèbre cette victoire, par laquelle Athènes est affranchie et vengée :


« Jamais hommes dans les temps passés n’ont combattu ni pour une cause plus noble, ni contre des adversaires plus puissans, ni avec des ressources plus faibles; ils pensaient que c’est la vertu qui est la force, que c’est le courage qui fait une grande armée plutôt que le nombre des soldats. Ainsi ils nous ont fait présent à tous de la liberté, et ils ont consacré leur gloire à la patrie comme une couronne immortelle. Mais il convient de nous demander ce qui serait arrivé s’ils n’avaient pas réussi. N’est-ce pas que le monde entier appartiendrait à un maître unique, que son caprice serait une loi à laquelle la Grèce devrait forcément obéir, qu’enfin l’insolence macédonienne prévaudrait partout sur la justice impuissante, de sorte que ni les femmes, ni les filles, ni les jeunes garçons n’échapperaient nulle part aux outrages?... Plus donc étaient terribles les maux auxquels nous devions nous attendre, plus nous devons rendre d’honneurs à ceux qui sont morts, car jamais guerre n’a mis plus en lumière la valeur des hommes que celle qui vient d’avoir lieu, où il fallait tous les jours se mettre en bataille, où on a livré plus de combats, dans l’espace d’une campagne, que tous les combattans des temps passés n’ont jamais reçu de blessures, où on a supporté si courageusement tant d’intempéries, tant de privations extrêmes, que la parole aurait peine à exprimer. Celui donc qui a déterminé ses concitoyens à soutenir sans flé-

  1. Publié par M. Babington à Cambridge, d’après un papyrus du British Museum, 1858. M. Dehèque a donné la première édition française de ce même texte, et en même temps qu’il le publiait, il l’a traduit. Il fallait la découverte de ces textes nouveaux pour qu’il y eût quelque chose à ajouter ici à l’Essai sur l’Oraison funèbre de M. Villemain.