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une composition faite à loisir. Toutes les autres sont autant de harangues fictives, placées même quelquefois dans une autre bouche que la sienne. Parmi ces fictions, il y en a de bien étranges. Voici un discours où il suppose une accusation imaginaire, une accusation capitale intentée contre lui; il se défend, et en se défendant il s’attendrit, puis il se relève et défie la mort avec courage. On croirait entendre Socrate; seulement il n’y a ni accusation, ni péril. Telles étaient les scènes qu’on proposait à ce public d’Athènes et qui étaient applaudies; tels étaient les effets de théâtre qui entouraient l’expression des sentimens les plus sérieux et les plus touchans.

Ce même discours est précédé d’un préambule curieux; on y voit que ces œuvres oratoires, si soigneusement élaborées, se produisaient dans des séances publiques où d’habiles lecteurs les faisaient valoir : « Je prie ceux qui se chargeront de le lire de le débiter comme un ouvrage qui contient des élémens divers et d’un style approprié aux différens sujets qui y sont traités. Je les engage à porter toute leur attention sur ce qui va être dit plutôt que sur ce qui a été dit tout à l’heure, surtout à ne pas vouloir absolument le lire tout d’un trait, mais à le ménager de façon qu’ils ne fatiguent pas l’attention des auditeurs. C’est en suivant ces recommandations que vous pourrez bien voir si nous n’avons pas trop perdu de notre talent. »

Ces vanités, ces coquetteries de rhéteur, n’ont pu manquer d’être relevées, même de son temps. On comptait les années qu’Isocrate employait à faire un discours, comme on compte les heures qu’une femme met à sa toilette : on assurait que cette fameuse harangue panégyrique, qui est un écrit de cinquante pages, lui avait coûté dix ans. Et cela n’empêchait pas qu’on ne crût y apercevoir des maladresses et y trouver l’auteur pris dans ses propres artifices : « Isocrate, en son Discours panégyrique, est tombé, je ne sais comment, dans une faute d’écolier, par l’ambition de ne vouloir parler de rien que sur le ton de l’amplification. L’objet de ce discours est de faire voir qu’Athènes a rendu plus de services à la Grèce que Lacédémone, et voici par où il débute : Puisque telle est la vertu de l’éloquence quelle peut rendre petit ce qui est grand, et donner à ce qui est petit de la grandeur, parler de choses anciennes avec nouveauté et donner à des choses nouvelles une couleur ancienne. Est-ce ainsi, peut-on lui dire, ô Isocrate, que tu vas changer la position de Lacédémone et d’Athènes? En vérité, cet éloge de l’éloquence n’est là que comme un avertissement préalable à ceux qui l’écoutent de ne pas le croire. » Ainsi parle l’auteur du livre du Sublime, et Fénelon, qui avait été frappé de cette critique en la lisant dans la traduction de Boileau, s’en est souvenu et l’a répétée. Il faut reconnaître pourtant qu’elle n’est pas juste, car l’orateur, qui parlait