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II.

J’ai fini d’étudier la pensée et le caractère d’Isocrate : j’ai marqué franchement ce qui manque à l’une et à l’autre en force et en profondeur, si franchement qu’on estimera peut-être que j’ai mis trop d’importance à cette étude et que je pouvais ne pas chercher dans ce brillant parleur autre chose que son bien dire ; mais il. n’aurait pas conquis par les seules ressources d’un art consommé tant de sympathie et d’admiration. C’est bien l’homme qu’on goûtait en lui, et c’est l’homme que je devais d’abord faire connaître. Ses traits principaux sont la sagesse et la messe de l’esprit, avec la noblesse des sentimens, mais, à côté de ces mérites, une trop grande satisfaction de les trouver en soi et un trop grand dédain de ce vulgaire qu’on ne croit pas fait pour y atteindre : non pas le dédain puissant de certains génies, qui le prennent de très haut avec la foule, mais qui l’enlèvent par la grandeur de leur âme et de leurs idées, sorte de séducteurs qui subjuguent en méprisant, parce qu’ils ont la passion et la force. C’est plutôt une distinction circonspecte, qui ne se commet pas avec les ignorans et les grossiers, mais qui aussi n’agit pas sur eux. Je doute que jamais femme du peuple se soit arrêtée dans la rue pour le voir passer, et l’ait montré du doigt en disant : Voilà Isocrate, comme on le raconte de Démosthène. Son talent s’adresse plutôt, je l’ai dit, aux honnêtes gens, à ceux qui ont de l’éducation et des loisirs ; lui-même se vante d’avoir principalement des riches pour disciples. Sa morale et sa politique sont avant tout une morale et une politique de bon ton. Il se fait honneur de sentir le prix de ce qui n’est plus, de saisir le faible de ce qui est, de n’avoir pas d’illusions sur l’avenir. Il a les dégoûts d’un homme heureux et glorieux, et les timidités d’un vieillard aimable, mais sans énergie. Il est mécontent et optimiste tout à la fois, mécontent par une susceptibilité que tout offense, optimiste par une vanité qui ne doute pas que tout n’aille à merveille, dès qu’il sera écouté et applaudi. C’est ainsi qu’il se laisse séduire à Philippe, ou qu’il s’abandonne à de beaux lieux-communs qui endorment en lui le sens de la réalité. Voilà les petits côtés de la délicatesse d’Isocrate ; mais elle se relève quand elle se marque par le respect et l’amour de tous les bons sentimens, par l’habitude de la modération, par une juste aversion pour les brouillons et les méchans, par une égale antipathie pour la force brutale des tyrans et pour les brutales passions des populaces, par l’éloignement des superstitions, par un attachement fidèle à ce qu’il appelle la philosophie, comprenant sous ce mot le double bienfait de la pensée qui éclaire et de la parole qui charme et qui touche, enfin par la faculté d’admiration