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titution de 91 le concours sincère de la cour. Isocrate continue, dans sa Lettre à Philippe, de se porter garant de la loyauté du Macédonien contre les gens malintentionnés qui lui imputent des desseins mauvais. Il est vrai qu’à voir comme il le presse de se garder de tout ce qui pourrait donner lieu à ces bruits fâcheux, on peut penser que lui-même n’est pas sans inquiétude, et qu’il cache ses propres soupçons ingénieusement (car il ne pouvait cesser d’être ingénieux) sous ce qu’il dit des pensées des autres. Néanmoins l’ensemble du discours témoigne assez qu’il espère plus qu’il ne craint, et ne peut croire que Philippe résiste ni à l’attrait de la vraie gloire et de la vraie grandeur, ni à la séduction de sa parole. Huit ans après, Philippe étouffait la Grèce.

On sait que Démosthène, un jour que les amis de la Macédoine, tâchant d’entraîner les Athéniens dans la guerre sacrée, proposaient de consulter l’oracle de Delphes, répondit que la pythie était philippiste. Faut-il en dire autant de l’éloquence d’Isocrate? Non certes, si on entend par là qu’il trahissait sa patrie et la conduisait de propos délibéré à la servitude. Au contraire, c’est pour qu’elle échappe à la servitude qu’il pousse son rival à une ambition plus haute et plus pure : c’est pour qu’il renonce à conquérir la Grèce qu’il lui parle de conquérir l’Asie à la tête des Grecs. L’honnête homme se montre dans toutes ses paroles, et cette honnêteté va jusqu’à l’élévation dans la péroraison du discours, lorsqu’il se flatte de n’avoir pas été livré, en le composant, aux seules inspirations de son génie, mais d’avoir écrit sous celle des dieux amis de la Grèce, des dieux qui suggèrent les bonnes pensées et les salutaires conseils. Isocrate n’est que la dupe de Philippe, et c’est trop déjà. Non-seulement cela témoigne contre sa sagacité en politique, mais son honnêteté même, si elle avait eu plus de force et de ressort, l’aurait éloigné d’un tel commerce par une instinctive antipathie. Il n’eût pas traité Philippe comme une nature généreuse, s’il eût été lui-même d’un tempérament plus généreux. Les démarches du barbare, tour à tour insolentes et tortueuses, l’auraient également révolté. Il est clair qu’il lui a manqué

…………. Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.


Il a aimé Philippe lorsque Philippe était, pour un moment il est vrai, l’allié d’Athènes humiliée[1]; il l’a admiré, il l’a patronné, il a reçu son argent sans doute, car ce nouveau disciple n’a pas dû récompenser moins libéralement que Nicoclès le maître illustre qui lui adres-

  1. La lettre sur Diodote, qui est censée adressée par Isocrate à Philippe pendant la guerre, est apocryphe comme toutes les autres lettres missives.