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Philippe une lettre oratoire qui est un de ses principaux discours. Il écrit cette lettre au moment où vient de se terminer la guerre célèbre par la prise d’Olynthe, et où Athènes a conclu avec le Macédonien cette paix menaçante qui anéantit les Phocéens et qui ouvrit la Grèce à Philippe. Il avait alors quatre-vingt-dix ans. On ne s’étonnera pas qu’il se soit laissé aller à des illusions qui étaient universelles. Jamais une paix ne fut accueillie plus avidement; Démosthène tout le premier la subissait, et n’essayait pas de lutter, du moins ouvertement et hautement, comme il fit plus tard, contre ceux dont l’influence la faisait conclure. On le voit au contraire, dans la cinquième des Philippiques, prendre le parti d’une résignation complète et s’employer à faire supporter aux Athéniens jusqu’à ce décret des amphictyons qui déférait au Macédonien la présidence des jeux pythiques, et le consacrait ainsi aux yeux des Grecs. Il pense que tout présentement vaut mieux que de rompre ; le moment viendra où l’on pourra reprendre les armes avec avantage : il n’est pas encore venu. Le pacifique Isocrate souhaitait qu’il ne vînt jamais, et il l’espérait de la sagesse de Philippe, conduite par la sienne. Il compte le détourner de toute ambition mauvaise en lui proposant une noble ambition. Qu’il soit non pas le maître des Grecs, mais leur chef librement choisi; qu’il marche à leur tête contre l’Asie, et la famille grecque, lui devra à jamais ces bienfaits incomparables, la grandeur au dehors, la concorde dans la liberté au dedans.

Belle morale, et qui fait plaisir à entendre, pour peu qu’on oublie un instant ce que sont les hommes et comment se passent les choses ! Isocrate l’oubliait sans peine; il était tout à son thème et à la satisfaction de le bien traiter. Il compte que, ses conseils étant également profitables au roi de Macédoine et à sa patrie, l’un et l’autre également lui en sauront gré. Lui qui se montre toujours si fier de son Discours panégyrique, le voilà qui le désavoue en quelque sorte. Il tient pour vide et stérile cette espèce de prédication solennelle qui, allant à tous, ne va par cela même à personne; il n’y a d’utile que les conseils qui s’adressent à un homme unique, également capable de parler et d’agir.

Dix ans auparavant, dans le discours sur la Paix, il rassurait déjà les Athéniens sur l’ambition de Philippe, affirmant qu’il n’avait mis la main sur Amphipolis que pour se garder lui-même des entreprises d’Athènes; « mais, dit-il, si nous changeons de conduite et que nous donnions meilleure opinion de nous, non-seulement il ne touchera pas à notre territoire, mais il sera le premier à nous céder du sien, pour acquérir l’utile amitié d’Athènes. » A toutes les époques de l’histoire, on voit de ces confiances candides, toujours prêtes aux rapprochemens et aux embrassemens, telles que celles qui promettaient au sénat romain la fidélité de César, ou à la con-