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temps ; ce n’en est pas moins l’aristocratie, mais une aristocratie libérale. Isocrate ne peut se passer de la liberté ; il la suit avec orgueil à travers toute l’histoire d’Athènes ; il l’oppose fièrement soit à l’oligarchie oppressive de Lacédémone, soit à l’odieuse domination des trente. L’aristocratie d’Isocrate serait véritablement, suivant l’étymologie, l’autorité des meilleurs, soumise à la loi, sage, fraternelle, ayant par-dessus la foule moins encore des droits que des devoirs, et relevant d’elle enfin comme souveraine. C’est une conception qui égalerait nos aspirations les plus hautes, si la considération de la fortune, chose si grossièrement réelle, ne venait se mêler malheureusement à cet idéal.

Isocrate n’est pas un partisan de la royauté, quoiqu’il se mette volontiers en frais d’éloquence pour les rois. Ces rois qui s’élevaient, au milieu de tant de républiques, sur certains points du monde grec, courtisaient les écrivains de la Grèce libre plutôt qu’ils n’en étaient courtisés. Ils demandaient à leur éloquence la renommée, et la payaient magnifiquement. Le roi de Cypre, Nicoclès, sollicitait d’Isocrate un discours, comme cent ans auparavant il aurait sollicité une ode de Pindare. L’orateur écrivit pour lui l’éloge funèbre du roi Évagoras, son père, et une exhortation morale sur les devoirs de la royauté. On peut croire que l’éloge était sincère, car Évagoras, qui s’était affranchi de la domination des Perses et avait soutenu contre eux la lutte avec succès, avait droit d’être célébré par l’orateur qui prêchait avec tant d’éclat la guerre d’Asie. Pour l’exhortation, elle est digne en tous points d’un philosophe, et Isocrate a pu se vanter plus tard à bon droit du langage libéral qu’il avait su parler à un roi. Il veut que le roi de Cypre, pour se faire une obligation de la sagesse et de la vertu, considère qu’il est insupportable que les méchans commandent aux bons et les fous aux hommes raisonnables. Le ton de l’orateur est celui d’un Athénien, à qui une monarchie, lors même qu’il lui rend hommage, paraît toujours une étrangeté et une espèce de paradoxe, qui ne l’honore qu’avec défiance et lui fait entendre qu’elle a beaucoup à faire pour se faire pardonner. Si d’une part il est ébloui de l’éclat de la suprême puissance, de l’autre il en étale fortement l’odieux et le péril. Thésée seul a su y échapper, et à la manière dont il l’en loue, on voit que c’est une chose extraordinaire à ses yeux, un miracle des temps héroïques dont il n’y a rien à conclure. La seule royauté qui lui agrée est celle des rois de Lacédémone, espèce de consuls héréditaires dont la dignité n’était que le couronnement et comme la décoration de l’aristocratie Spartiate.

Mais, vers la fin de sa vie, Isocrate a été en rapport avec un roi d’une tout autre importance que le roi de Cypre. Il a adressé à