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la démocratie; mais il n’est pas sans intérêt de faire voir les dispositions fâcheuses que cette polémique contre un grand principe entretenait dans leur esprit, et qui ne se font que trop sentir dans leurs ouvrages; car les préjugés enfantent les préjugés, les fautes amènent d’autres fautes, et pour avoir méconnu la démocratie, l’immortel honneur d’Athènes jusque dans sa manifestation imparfaite, ils ont été entraînés à trois mauvais sentimens : l’ingratitude envers la patrie, la peur du progrès et de l’avenir, et le mépris des hommes, leurs semblables.

Les philosophes prennent volontiers le fait en dégoût et l’idée en amour. Le fait, c’était ce qu’on avait sous les yeux tous les jours à Athènes; l’idée, on voulait aussi la loger quelque part, et comme elle est l’antithèse du fait, on la plaçait à Lacédémone, qui était l’antithèse d’Athènes. On célébrait les institutions et les mœurs lacédémoniennes, on les admirait soit en elles-mêmes, soit, mieux encore, en les réfléchissant avec de plus belles couleurs dans les nuages des utopies ; on élevait à plaisir la grandeur de Sparte ; on présentait sans cesse aux Athéniens son nom et son image pour leur être une leçon et un reproche; on semblait fier de chaque faiblesse qu’on trouvait chez soi, et de chaque force qu’on croyait découvrir ailleurs; enfin on laconisait à Athènes, comme d’autres sages, sous des influences assez semblables, britannisent quelquefois parmi nous. Il est permis sans doute de voir les misères de la patrie et même de les étaler pour les guérir, et si elle a une grande rivale, qui, pour tel ou tel mal, paraisse avoir trouvé le remède, il n’est pas défendu de profiter de ses exemples, d’étudier, là où elle prospère, le secret de sa prospérité, de lui accorder tantôt le juste hommage auquel ont droit les vrais mérites, les services réels rendus au monde, tantôt l’admiration jalouse qu’on doit à un adversaire redoutable, et qui est un des moyens les plus sûrs de se défendre de lui. Il faut se garder cependant de perdre jamais, dans une étude trop complaisante de l’étranger, ni le respect, ni l’amour, ni même le goût de son pays, car ce n’est pas assez de l’aimer d’un amour sincère, je dis qu’il faut en avoir le goût, soit parce que l’amour tient difficilement où le goût manque et risque trop de sortir du cœur (le triste exemple de Xénophon en est la preuve), soit parce que celui qui ne sent pas cet attrait dominant pour sa république peut difficilement la bien connaître et la gagner autant qu’il le faut pour la servir, soit enfin parce que celui qui, ayant une patrie comme Athènes, ne s’en montre pas fier et charmé trahit par là, quelque intelligent qu’il soit d’ailleurs, sinon une borne de son esprit, du moins une faiblesse. Qu’ont fait la postérité et l’histoire de ce parallèle importun dont quelques Athéniens fatiguaient Athènes? Qui