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hardie, dans la philosophie morale, que de franchir les bornes de la cité, comme le firent les stoïciens. Les socratiques ne s’occupaient encore que de la cité, et là point d’inégalité, point de maître; on buvait, comme dit Platon, le vin pur de la liberté, on s’en enivrait jusqu’au délire, et la raison des sages se heurtait avec colère aux folies démagogiques qui s’étalaient de toutes parts.

Il nous est facile aujourd’hui de reconnaître que le véritable principe de ces excès n’était pas l’égalité établie entre les citoyens, mais au contraire l’inégalité sur laquelle la cité était fondée. Et d’abord les délibérations de la multitude, amassée sur la place publique, seraient devenues chose impossible, si dans le peuple eussent été compris les esclaves, et plus impossible encore, si ces sujets d’Athènes, qu’on appelait ses alliés, eussent été tenus pour Athéniens, et n’avaient fait qu’un avec les habitans de l’Attique. Ainsi disparaissaient d’un seul coup l’extrême mobilité d’un gouvernement à vingt mille têtes, absolument incapable d’aucune suite; l’influence des démagogues tournant au vent de leur parole une foule assemblée deux ou trois fois par mois comme pour un spectacle; le scandale de la souveraineté exercée pour un salaire par une population besoigneuse qui subsistait des oboles de l’agora ou des tribunaux; les fonctions publiques tirées au sort, non comme un service, mais comme un profit, tandis que les sages demandaient si ceux qui montent un navire ont coutume de tirer au sort celui qui gouvernera le vaisseau; une justice capricieuse comme une loterie, faite non pour les jugés, mais pour les juges, car il fallait leur fournir des procès pour les faire vivre, et ils recevaient des bons pour juger comme ils auraient reçu des bons de pain ; enfin les malheureux alliés faisant principalement les frais de cette justice, comme l’atteste Xénophon, et forcés, pour l’alimenter, de s’en venir plaider dans Athènes. Toutes ces misères ne résultaient pas de ce que la république athénienne était une démocratie, mais bien de ce qu’elle était la démocratie de quelques-uns, et non pas de tous. Cette multitude exerçait en réalité une tyrannie, et, comme les tyrans, elle usait de sa puissance pour satisfaire ses envies et pour se dispenser de ses devoirs.

Elle voulait régner par la guerre, et elle ne voulait pas faire la guerre : elle payait donc des mercenaires, et c’est la plainte perpétuelle des bons citoyens; mais avec quoi les payait-elle? Avec l’ar- gent des sujets. Sans les sujets, il n’y aurait pas eu de mercenaires, car qui les aurait payés? Et sans les esclaves, il n’y aurait pas eu non plus de mercenaires, car, si tous les habitans avaient été des citoyens, Athènes n’aurait pas eu besoin d’étrangers pour se défendre.

La multitude voulait encore avoir des fêtes, des spectacles, des