Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme Xénophon, comme Socrate; mais ce que Socrate et les siens disaient aux disciples qui philosophaient avec eux, Isocrate le répétait en partie dans le langage du monde au monde lui-même, et les philosophes lui en savaient gré. Platon a donné en quelque sorte à Isocrate, par la bouche du maître lui-même, le titre d’orateur de la philosophie. C’est dans le Phèdre, son premier ouvrage, où il oppose une rhétorique philosophique à l’art vulgaire des rhéteurs, et les attaque hardiment dans le plus parfait d’entre eux, dans Lysias. Phèdre est épris de Lysias; Socrate le contraint à voir le faible de ce qu’il admire. Socrate termine ainsi le dialogue : « Va dire tout cela à ton jeune ami. — Mais, dit Phèdre, il ne faut pas non plus oublier le tien. — Qui donc? — Le bel Isocrate. Que lui feras-tu dire, Socrate, et que prononcerons-nous sur son compte? — Isocrate est bien jeune encore; je veux dire pourtant ce que j’augure de lui. — Et quoi donc? — Il me semble qu’il y a dans son génie quelque chose de plus élevé que l’art de Lysias, et qu’il est d’ailleurs d’un tempérament plus généreux, de sorte qu’il ne faudra pas s’étonner, quand il avancera en âge, si d’abord, dans le genre où il s’exerce aujourd’hui, tous les maîtres ne paraissent auprès de lui que des enfans, et si même, ne se contentant plus de ces succès, il se sent porté vers de plus grandes choses par un instinct plus divin, car en vérité, mon cher Phèdre, il y a de la philosophie en lui. Voilà ce que nous pouvons aller dire, de la part des dieux que nous avons consultés, moi à mon Isocrate et toi à ton Lysias. »

Ceux qui trouveront ce témoignage trop magnifique essaieront peut-être de le récuser en disant que Platon a voulu flatter un orateur illustre et admiré, qui avait par-dessus lui quelques années et qui pouvait favoriser à son tour la renommée naissante de son ami. Peut-être ajouteront-ils que les esprits originaux n’ont pas trop de peine à louer des talens heureux, mais moins puissans, qui se font applaudir sans dominer, et qui ne sauraient être gênans, car ils n’ont pas la force, qui est la seule chose qui puisse faire obstacle. Quoi qu’on puisse dire et quoi qu’on veuille rabattre des hommages de Platon, il faudra toujours en tenir compte. Il a loué dans Isocrate un ami, je le crois; mais Isocrate a dû son amitié à cela même qu’il demandait ses inspirations aux principes qui étaient ceux de Platon. Chaque applaudissement que recueillait cette éloquence nouvelle profitait à la philosophie; c’est pour cela que Platon aime la gloire d’Isocrate et qu’il la sert. Il est son allié contre des adversaires communs, contre les partisans du goût vulgaire, qui sont aussi ceux des idées banales et des préjugés publics, contre les sophistes et les orateurs populaires, sous la ligue desquels, Socrate avait succombé. Et ce n’est pas à la personne de Lysias qu’il en