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tique : la république de l’avenir a donné là ses prémices, bien imparfaites et cependant déjà grandes. Comment ne nous intéresserions-nous pas à Athènes dans ses bons et dans ses mauvais jours, tantôt l’admirant, tantôt la blâmant, mais la plaignant plus encore, je veux dire déplorant, dans les fautes et dans les malheurs qui l’ont conduite à la servitude, soit les défaillances de la nature humaine, qui reste toujours si au-dessous de ce qu’elle se propose, soit les dérisions d’une force aveugle qui se joue de l’homme et de ses ambitions même les meilleures, et leur donne parfois de si insolens et si cruels démentis? L’intérêt de cette histoire est inépuisable; de quelque manière qu’on la comprenne et qu’on l’interprète, on se plaît à y pénétrer tous les jours davantage, et déjà M. Mérimée dans la Revue, en rendant compte de la grande Histoire Grecque de M. Grote, a fait voir combien cette époque est considérable et combien elle paraît riche en enseignemens. Isocrate figure à plusieurs titres dans le tableau de ces temps. D’une part, il rend témoignage de ce qu’il voit faire; de l’autre, il agit lui-même, non pas précisément à la manière des autres orateurs, par des décrets, mais par des leçons ou par des reproches. C’est un conseiller moraliste qui prêche le peuple athénien. Il intéresse d’abord, comme tous les prêcheurs, en nous faisant connaître les mœurs de ceux à qui il s’adresse; mais il n’attache pas moins par l’image que ses discours nous tracent de lui-même, et où nous reconnaissons tout un ordre d’esprits. Ce sont ceux qu’on appelle les sages, les modérés, les honnêtes gens, j’entends ceux qui méritent vraiment ces noms. Dignes certes d’estime et de bienveillance, ils obtiennent d’ordinaire ces sentimens, et ils peuvent prétendre davantage, mais à la condition qu’ils ajoutent à leurs qualités utiles ou aimables une vertu et un sel qui ne s’y mêlent pas toujours. Autrement ils ne font pas tout le bien qu’ils semblent appelés à faire ; ils dégoûtent du mal plus qu’ils n’en guérissent; ils nous rendent plutôt raisonnables que bons et forts; ils se font honneur à eux-mêmes plus qu’ils ne rendent service à leur pays. Quelquefois aussi, faute d’assez d’ardeur, ils manquent cette sagesse même qu’ils poursuivent, et de moins judicieux en apparence jugent mieux qu’eux par le cœur. Ils gardent toujours pourtant le grand mérite de se préserver de tout ce qui est bêtise, folie ou scandale, et de se tenir en tout dans une mesure dont le gros de l’humanité est trop peu capable. Et s’ils montent au-dessus de cette mesure par quelque côté que ce soit, s’ils ont dans l’esprit quelque don qui les distingue, alors un vif intérêt vient se joindre à la considération qu’ils inspirent, et les hommes s’acquittent envers eux par des applaudissemens sympathiques, tout en gardant un amour plus tendre et une gloire plus