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Une des conditions principales de l’expression pittoresque, dans une estampe aussi bien que dans un tableau, c’est la franchise de l’aspect général. Il faut que les tons soient distribués de manière à se déduire les uns des autres, et à graviter en quelque façon autour du foyer lumineux vers lequel le regard doit être tout d’abord attiré. Cette concentration de l’effet est pour la gravure une loi d’autant plus impérieuse, que, les ressources dont elle dispose se réduisant à deux élémens, il n’est pas possible de se lier ici, comme dans une œuvre peinte, à la variété des couleurs pour déterminer le rôle des diverses parties et la signification de l’ensemble. Le blanc plus ou moins éclatant, le noir à ses différens degrés d’intensité et dans ses modifications successives, voilà les seuls moyens de coloration appartenant au burin, ou plutôt ce n’est qu’en tirant parti des dégradations de l’ombre et de la lumière qu’il peut faire pressentir les contrastes résultant ailleurs de la valeur même et de la qualité particulière des tons. De là, pour les graveurs, l’obligation de certains sacrifices au relief des morceaux essentiels et le devoir d’accuser nettement ce qui doit être vu de préférence, d’éteindre ou tout au moins de voiler ce qui n’a qu’un intérêt secondaire. Je sais qu’en pareil cas la crainte de l’équivoque peut conduire aisément à l’exagération, aux partis-pris systématiques, à ces antithèses pittoresques dont l’école anglaise fatigue nos yeux depuis tant d’années, et dont on a justement comparé la violence à l’effet que produirait, dans le domaine du réel, un coup de pistolet au milieu des ténèbres d’une cave. Est-ce une raison toutefois pour tomber dans l’excès contraire ? faut-il, de peur d’outrer les conséquences, répudier absolument le principe, et dissiper en menues intentions, en expressions partielles, le fonds qu’il convenait d’exploiter en vue de l’harmonie et d’une impression d’ensemble ?

La nouvelle planche gravée par M. Mercuij se ressent trop de cette propension à l’extrême analyse. Si l’on en examine les détails un à un, nul doute qu’on n’apprécie le soin avec lequel chaque objet est rendu, chaque accident de la forme étudié et défini ; mais que l’on cherche entre ces mille détails le point qui doit déterminer l’effet et résumer l’esprit de la scène, le regard ne sait où se prendre. Tout le sollicite, rien ne l’arrête. La figure de Jane Grey, dont il fallait accuser l’importance principale par l’unité de l’aspect, est elle-même morcelée et comme interrompue dans sa physionomie générale. Le visage, le cou, les bras, sont chargés de travaux si compliqués, que le modelé disparaît presque sous les demi-teintes, tandis que certaines parties de la robe, — celles qui recouvrent les genoux par exemple, — brillent d’un éclat assez vif pour s’isoler complètement du reste. Ailleurs les corps soyeux ou souples, tels que