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main qui a creusé les tailles se montre dans le travail avec moins d’évidence que l’esprit qui les a distribuées. À en juger d’après certaines œuvres de la gravure actuelle, — les morceaux de concours entre autres exposés à l’Ecole des Beaux-Arts, — on croirait presque qu’il s’agit d’obtenir le résultat contraire. Or est-ce le moment de se préoccuper ainsi du moyen, est-il opportun de ruser avec le métier quand l’art, compromis ailleurs par les procédés mécaniques, exige qu’on fasse prévaloir ses conditions immatérielles ? La belle avance lorsqu’on aura couvert le cuivre de tailles exactement entre-croisées ou contournées avec je ne sais quelle aisance impertinente renouvelée de Morghen et des graveurs de son école ! À quoi bon d’ailleurs ces stratagèmes et ces tours de force ? En ce qui tient à l’exécution seulement, les plus adroits auront beau s’évertuer, ils n’acquerront jamais cette sûreté dans le faire, cette dextérité pour ainsi dire inhérente aux fonctions de l’appareil photographique. Le mieux serait donc de décliner la lutte sur ce terrain et de laisser à qui de droit les perfections de surface pour s’attacher à la représentation du vrai dans son acception intime, dans ses caractères foncièrement expressifs.

Si nous insistons sur les principes en vertu desquels une œuvre de gravure doit être conçue et exécutée, c’est que ces principes essentiels semblent quelquefois mis en oubli là même où les témoignages de talent et l’autorité du nom demeurent le moins contestables. Les plus éminens entre les graveurs de notre temps et de notre école ne savent pas toujours se tenir en garde contre les excès de la pratique. Chez quelques-uns, ce qui n’apparaissait autrefois qu’à l’état d’inclination dégénère presque en habitude et en erreur formelle. M. Mercurj par exemple, — s’il est permis de compter parmi nos compatriotes un artiste né hors de notre territoire, mais naturalisé Français en quelque sorte, comme autrefois Edelinck, par un long séjour en France et par les modèles qu’il a choisis, — M. Mercurj ne vient-il pas de prouver que, depuis l’époque où il gravait Sainte Amélie, d’après M. Delaroche, il s’est de plus en plus abandonné aux curiosités de l’exécution, aux artifices de l’outil ? Son burin, inquiet déjà et un peu précieux, ne pousse-t-il pas aujourd’hui le soin des détails jusqu’à la minutie et le culte du procédé jusqu’à une sorte de fétichisme ? Sans doute dans cette planche de Jane Grey, qui lui a coûté tant d’années de travail, M. Mercurj se montre, comme dans ses ouvrages précédens, dessinateur correct et délicat ; mais ici la correction, à force de scrupules, aboutit presque à la sécheresse ; la délicatesse est si recherchée, si subtile, qu’elle se distingue à peine de l’afféterie, et qu’en prétendant exprimer la finesse de son goût, l’artiste réussit surtout à nous révéler la patience de sa main.