Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/772

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Contraste singulier en effet : à mesure que les produits photographiques nous distraient de la gravure contemporaine, les monumens de l’art à ses débuts, l’histoire de ses progrès jusqu’à la fin du dernier siècle excitent un intérêt croissant. Jamais, dans les ventes publiques, les estampes des maîtres n’ont été disputées avec autant de passion ; jamais les documens sur la marche des diverses écoles, les témoignages historiques ou critiques n’ont été plus consciencieusement mis en lumière, ni plus généralement consultés. Le résumé le plus fidèle des phases qu’a traversées la gravure depuis le XVe siècle jusqu’à la seconde moitié du XVIIe — le livre de M. Renouvier sur les Types et les Manières des Maîtres graveurs, — appartient à notre temps. Les notes laissées par des amateurs ou par des artistes, les biographies même des maîtres secondaires sont publiées pour la première fois avec un soin scrupuleux, et, depuis l’Abecedario du savant Mariette jusqu’au Journal simplement anecdotique de Wille, on n’a rien négligé de ce qui se rattache à l’histoire de la gravure et des graveurs. D’où vient donc ce redoublement de zèle chez les érudits et chez les curieux ? S’agit-il seulement de recueillir des débris archéologiques, d’inventorier, à titre de raretés hors d’usage, les travaux de nos devanciers, ou bien l’école actuelle de gravure a-t-elle à ce point démérité qu’il faille, en fait de talent, s’en tenir au passé et ne demander au temps présent que ce qu’il est en mesure de nous donner, — des effigies et des empreintes ? De ces deux suppositions, ni l’une ni l’autre ne serait exacte. Si l’on a tant de goût pour les spécimens de l’art ancien et pour les commentaires qui les expliquent, c’est qu’apparemment on en comprend aussi bien que jamais le mérite ou l’utilité. Si d’autre part on n’accorde qu’une médiocre attention aux estampes modernes, ce n’est pas qu’il y ait à cet égard dans le public indifférence ou dédain systématique. C’est plutôt que les travaux sérieux disparaissent sous la multitude des produits d’un autre ordre, et que, faute de loisir pour discerner le bien, on prend le parti de le juger absent. Un coup d’œil sur quelques œuvres récentes nous révélera ce que cette opinion a d’injuste et quels principes de vie garde encore l’art dont bien des gens annonceraient, sans marchander, la fin prochaine.

Il faut le dire toutefois, les graveurs de notre temps, en s’efforçant de défendre leur terrain et leurs privilèges, semblent trop souvent oublier que ces privilèges consistent beaucoup moins dans la pratique d’un procédé que dans l’expression d’un sentiment pittoresque. Les évolutions adroites du burin, l’habileté de la manœuvre, — pour nous servir du terme consacré, — importent sans doute à la beauté d’une estampe ; mais il importe bien autrement que cette adresse de l’outil demeure à l’état de qualité secondaire, et que la