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la portion de l’enceinte de Delhi comprise entre le water-bastion (le plus voisin de la Jumna) et la porte Morie, qui forme l’extrémité opposée du front nord. Tout le samedi, tout le dimanche, et jusqu’au lundi matin, le bombardement continua sans répit. Delhi, enfin assiégée, sentait son heure arriver. Les bruits les plus sinistres y circulaient. Sir John Lawrence, disait-on, approchait avec dix mille hommes. La désunion était parmi les cipayes, et les plus notables courtisans du Shah-Bahadour-Shah se recommandaient d’avance à la clémence du vainqueur[1]. Lui-même, le Grand-Mogol, avait quelques jours auparavant proposé de se rendre, moyennant le maintien de sa pension et une amnistie pour certains grands personnages. Le général anglais se borna, pour toute réponse, à lui faire dire qu’on traiterait toutes ces questions dans la ville même. Moins menacés que le monarque, et désireux de se soustraire aux terribles conséquences d’un assaut, un grand nombre d’habitans de Delhi (2,500 femmes ou enfans, dit-on, avec 5 ou 600 chariots) se pressaient dans les principales rues et demandaient à se retirer du côté des Anglais; mais les portes restèrent fermées devant eux.

« Messieurs, avait dit le général Wilson aux membres du conseil de guerre réuni sous sa tente le 12 septembre, après leur avoir distribué ses instructions pour l’attaque décisive qu’ils venaient de résoudre, j’ignore le jour et l’heure où l’assaut sera livré : je le saurais, du reste, que je ne me croirais pas autorisé à vous le faire connaître. » Mais, en vertu d’ordres donnés dans la soirée du dimanche 13, les cinq colonnes d’assaut se formèrent le 14, dès trois heures du matin. Nicholson avait réclamé le commandement de la première, composée de 550 soldats européens (75e de la reine et fusiliers européens du Bengale), plus 450 de l’infanterie du Bengale, disciplinés par lui et accoutumés à son commandement: la seconde colonne comptait 850 hommes, dont 500 Européens: elle était commandée par le brigadier Jones; la troisième (750 Sikhs et 200 Anglais) marchait sous les ordres du colonel G. Campbell. La première de ces trois colonnes, séparée en deux, devait attaquer le bastion de Cachemyr par deux de ses faces, et enlever la brèche ouverte à la droite de ce bastion; la seconde était dirigée vers la brèche ouverte dans le bastion de l’eau; la troisième, marchant droit à la

  1. Les correspondances envoyées de la ville à ce moment décisif, c’est-à-dire à partir du 30 août, renferment de curieux détails. Elles sollicitent le pardon des Anglais pour « le roi, les nobles et les citoyens de Delhi, qui sont innocens et abandonnés. » Nous y voyons mentionné le départ de 4,000 cavaliers irréguliers. La moitié des Sikhs enfermés dans Delhi se déclarent disposés à passer du côté des Anglais. Enfin le roi a paru devant son durbar, arrachant son turban, prenant sa barbe à deux mains, invoquant la vengeance céleste sur ceux dont la démence et la couardise l’ont amené à cette déplorable extrémité.