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çaient la réalisation de l’oracle. « C’est maintenant ou jamais! » criaient-ils aux fanatiques musulmans, et dès cinq heures du matin plus de six mille hommes vinrent se ruer autour du Subjie-Mundie et de Rao’s House. Le combat, furieux, acharné, durait encore à quatre heures de l’après-midi. A onze heures du matin cependant était arrivé des provinces du nord un des premiers renforts envoyés par sir John Lawrence[1], et grâce à ce secours, qu’on espérait à peine, l’ennemi, chassé du Subjie-Mundie, puis de jardin en jardin, de muraille en muraille, dut rentrer, déçu, vers six heures, derrière ses infranchissables remparts.

On ne nous demandera certes pas le détail des vingt-six combats de ce genre qu’eurent à soutenir les Anglais avant de pouvoir reprendre l’offensive. C’est à peine si l’attention d’un homme du métier supporterait sans lassitude la monotonie forcée de ces luttes réitérées sur le même terrain, dans des conditions analogues, et avec des résultats invariablement identiques. Cependant l’esprit doit tenir compte de cet acharnement des cipayes et de l’énergie indomptable qu’il fallut aux généraux anglais pour s’obstiner à demeurer immobiles en face de ces périls sans cesse renaissans qu’aggravait la diminution constante de leurs troupes, vainement renforcées, par intervalles, de quelques centaines d’hommes. Les privations, l’air infect, favorisant l’influence déjà pernicieuse du climat, donnaient pour alliés aux cipayes le choléra, les fièvres, les dyssenteries. La disposition des lieux favorisait, en dehors des heures de combat, les meurtres individuels, accomplis par surprise ou par embuscade. Chacune de ces victoires presque quotidiennes coûtait un certain nombre d’officiers et de soldats. Il y avait aussi des désertions, toujours suspectes, et à bon droit. Les nouvelles du dehors arrivaient plus menaçantes de jour en jour. A l’intérieur du camp, on se sentait trahi. Un jour, l’ennemi fut amené jusque sur les canons d’une des principales batteries par une patrouille de déserteurs, ostensiblement sortie du camp, et qui feignait d’y rentrer. Un autre jour, on s’aperçut que quelques-uns des lascars attachés à l’artillerie altéraient les gargousses et faussaient le point de mire des pièces. Parmi les bunniahs (petits marchands) qui venaient trafiquer autour du camp se glissaient, déguisés, des agens de corruption envoyés pour fomenter quelque révolte des Sikhs et des autres soldats indigènes.

Par contre, il est vrai, les Anglais avaient organisé, à l’intérieur de Delhi, un espionnage admirable. Ils savaient presque jour par

  1. Cent hommes du 75e (anglais), quatre compagnies de fusiliers du Bengale, quelques centaines de Sikhs et six canons.