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de Taliwarah. Là, elles n’étaient plus qu’à fort petite distance de l’extrémité méridionale du ridge, qu’elles avaient à contourner pour se trouver derrière les batteries anglaises. Au pied même de cette première éminence, elles arrivaient à un autre corps de bâtiment, le Subjie-Mundie, d’où leur artillerie enfilait la face même du camp. Ce dernier point pris, repris, abandonné, ressaisi à plusieurs reprises, ne fut définitivement acquis aux Anglais que le jour même de l’assaut final. C’était en face de ce marché à la volaille, et un peu à sa droite, que se trouvait placée une grande villa, la maison de Rao (Hindoo Rao’s House), qui constituait la clé même de la position occupée par les Anglais. Et c’est en se fondant sur la défense acharnée de ce point sans cesse attaqué par les cipayes que les vainqueurs de Delhi comparent leur résistance à celle des héroïques soldats enfermés dans la résidence de Lucknow[1].

Tout l’avenir du siège de Delhi était dans la conservation de ce poste, où s’était établi le grand piquet de l’armée. L’ennemi une fois là, il fallait se retirer; mais où et comment? Au premier signe de faiblesse, le pays entier se levait contre les Anglais, et leurs alliés indigènes, les Ghourkas, les montagnards qu’ils avaient attachés à leur fortune, eussent été les premiers à les attaquer. Les ennemis savaient parfaitement à quoi s’en tenir sur la valeur stratégique de Rao’s House ; c’était contre ce poste que, de jour et de nuit, ils dirigeaient d’incessantes attaques. Du 8 juin, jour même de l’ouverture du siège, date la première attaque de ce genre, et ce jour-là aussi les canons de 24 placés sur le bastion Morie, à l’extrémité de droite du front attaqué, abattirent les verandahs de Rao’s House. Les batteries établies par les cipayes dans le faubourg de Kissengunge n’avaient pas d’autre but que de compléter la destruction de cet abri, si essentiel. Le 10 juin, le 12, le 13, le 15, il fut attaqué. Ce jour-là, cinq mille fantassins ou cavaliers, soutenus par neuf pièces de campagne, vinrent planter à cent pas des Anglais, et au sommet même de la colline par eux occupée, l’étendard vert de Mahomet. Ils purent ensuite, bien que repoussés avec perte, rentrer dans Delhi avec tous leurs canons. Le 23 juin fut de tous ces combats le plus mémorable. C’était le centième anniversaire de l’établissement des Anglais dans l’Inde, et une prophétie fort ancienne disait que, ce jour-là même, le sceptre de l’Hindostan rentrerait aux mains du Grand-Mogol. Les fakirs, les moulvies annon-

  1. Il est assez remarquable cependant que cette belle défense soit le fait des Ghourkas commandés par le major Reid. Voir l’hommage éclatant que rend M. Raikes à ces vaillans petits soldats du Népaul, non sans faire observer, il est vrai, que leurs chefs indigènes, Jung-Bahadour par exemple, n’en savent pas tirer le même parti que les officiers anglais. (Notes on the Revolt, pag. 78.)