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insultes, mais on le fit taire à l’instant. En revanche, il y eut des condamnés qui sollicitèrent la permission de faire un dernier salaam au sahib (un dernier salut au seigneur, c’est-à-dire au magistrat européen).

« Cent cinquante environ avaient été passés par les armes, quand un des exécuteurs s’évanouit (c’était le plus âgé du détachement), et un peu de répit fut donné en conséquence. On reprit ensuite, et on était arrivé à deux cent trente-sept, quand le magistrat du district[1] fut informé que le restant des condamnés refusait de sortir de la tour-bastion, leur cachot provisoire. Prévoyant quelque résistance, quelque sortie désespérée, on se mit en mesure d’empêcher toute évasion. On ne pouvait guère prévoir ce qu’on allait apprendre du sort terrible qui avait déjà frappé le reste des mutins. Ils avaient devancé de quelques heures la mort qui les attendait. Les portes ouvertes, on les trouva presque tous morts. La célèbre tragédie du Black-Hole[2] se trouvait ainsi involontairement reproduite. On n’avait entendu aucun cri durant la nuit à cause du tumulte qui régnait dans le village et autour de la station. Les cadavres de quarante-cinq malheureux, morts de peur, d’épuisement, de fatigue, de chaleur, de suffocation, furent extraits au grand jour, et jetés avec les autres dans la même fosse, unique pour tous, par les balayeurs du village.

«Un cipaye seulement, grièvement blessé dans le combat, se trouvait hors d’état d’être transporté sur le lieu de l’exécution. On le réserva donc, à titre de témoin de la reine, et on l’expédia d’Umritsur à Lahore avec quarante et un prisonniers ultérieurement ramassés deçà et delà. Plus tard, en pleine parade, et par-devant les autres régimens de Mean-Meer qui avaient montré des dispositions à la révolte, tous, sans exception, furent mis en pièces par le canon. Quant à l’exécution d’Ujnalla, commencée à la pointe du jour, elle ne dura que quelques heures. Ainsi, dans les quarante-huit heures qui suivirent la perpétration du crime, près de cinq cents hommes l’avaient payé de leur vie.

« Les indigènes, rassemblés en foule, auxquels on expliquait ce qui venait de se passer, trouvaient le procédé parfaitement équitable (righteous), mais incomplet, et cela parce que le magistrat ne faisait pas jeter pêle-mêle dans le même puits la petite horde d’hommes, de femmes, d’enfans, qui avait suivi la fortune des cipayes révoltés.

  1. Encore M. Cooper.
  2. Le Trou-Noir de Calcutta est célèbre dans les annales de l’Inde. Après avoir repris aux Anglais la ville destinée à devenir la capitale de l’empire anglo-indien, Sourajah-Dowlah, qui avait promis d’épargner la garnison prisonnière, oublia de régler ce qu’on en devait faire. Cent quarante-six hommes furent en conséquence entassés dans une chambre de dix-huit pieds carrés, et cela au mois de juin (1756), sous le brûlant climat du Bengale. Cette chambre n’était, à vrai dire, ni un trou ni même un cachot. Elle était au rez-de-chaussée; elle était percée de deux fenêtres. Cependant, pressés les uns contre les autres et contraints, sous peine de mort, d’y rester en silence, les Anglais mouraient asphyxiés l’un après l’autre. Quand, le matin venu, les portes furent ouvertes, on ne trouva plus que vingt-trois hommes vivans, et ceux-là mêmes avaient vieilli en une nuit de manière à n’être plus reconnaissables. Des morts, quelques-uns se trouvaient déjà dans un état de putréfaction aussi avancé que s’ils eussent été sous terre depuis plusieurs jours. — Harriet Martineau’s British Rule in India, p. 99.