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les flots. On les vit disparaître sous l’eau rapide, se montrer un peu plus loin, disparaître encore, et s’enfoncer sans doute pour jamais.

Les sowars, abordant à basse eau et s’avançant sur l’île, tenaient les fugitifs au bout de leurs mousquets à mèche, — mauvais mousquets, qui eussent très mal fonctionné, remarque M. Cooper, — lorsque du rivage opposé leur arriva l’ordre : Ne tirez pas! Ces trois mots produisirent sur les mutins un effet remarquable. L’idée leur vint, — idée folle, espoir insensé, — qu’on les ferait passer devant un conseil de guerre, puisqu’on ne les fusillait pas sur place. Et alors soixante-cinq hommes, jeunes, robustes, valides, se laissèrent garrotter par un seul soldat, qui les entassa ensuite comme un vil bétail dans une des barques, vidée à cet effet. Puis il se mit à ramer et les conduisit à l’autre bord, où, à mesure qu’ils sortaient de la barque, les villageois s’emparaient d’eux pour les lier plus solidement, après leur avoir arraché ignominieusement leurs décorations, colliers, boucles d’oreilles, etc. — C’était, remarque M. Cooper, le sac d’avoine. — Ce premier convoi reçut ordre de s’acheminer sous escorte vers la station de police la plus voisine (Ujnalla).

Seconde traversée, seconde capture. Cette fois, la barque escortée s’écartant un peu de celle qui la convoyait, on crut à une fuite préméditée, et on joignit à force rappels énergiques une volée de mousqueterie pour les cipayes. En somme, c’était une fausse alerte. Le second détachement de prisonniers débarqua comme le premier. Comme le premier, il fut outragé, pillé, garrotté, expédié sur Ujnalla. De même pour le troisième, qui comprenait jusqu’au dernier des cipayes réfugiés dans l’île. Le triple cortège avançait lentement sur les routes détrempées par la pluie. On avait de la boue jusqu’aux genoux; mais il faisait clair de lune, et l’astre « gracieux, » — épithète de M. Cooper, — empêchait toute évasion. A minuit seulement, tout le monde était rendu; mais la pluie, qui recommençait, empêcha de procéder immédiatement à ce qui restait à faire. On remit au petit jour. Avant que l’aurore eût brillé, on amena une quatrième troupe de cipayes comprenant soixante-six hommes, et, la station de police étant à peu près pleine, on logea ces derniers venus dans une grosse tour ou bastion.

En partant d’Umritsur, le commissaire délégué (c’est toujours M. Cooper, qui se dissimule ainsi sous sa qualification officielle, mais par pure modestie, et non pour autre cause), le commissaire délégué s’était pourvu d’une bonne provision de cordes, pensant que les prisonniers seraient peut-être en assez petit nombre, — les arbres étant fort rares, — pour être pendus. Il s’était aussi précautionné d’une réserve de cinquante fusiliers sikhs pour l’autre hypothèse, celle d’une exécution en masse. Or on se trouvait en face de deux cent quatre-vingt-deux cipayes, sans compter les valets de