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Le 31 juillet, on le signala longeant la rive gauche de la Ravee, et près d’un g haut ou gué dont le passage lui avait été disputé avec succès par un collecteur indigène (tehsildar) suivi de ses agens et de villageois enrôlés sous leurs ordres. On organise une poursuite nouvelle, et quatre-vingt-dix cavaliers, commandés par l’officier du district (M. Cooper en personne, ne l’oublions pas), arrivent à l’endroit désigné, où ils trouvent les traces évidentes d’un combat à peine terminé, le terrain foulé, les bords de la rivière rompus, des flaques de sang. Effectivement on avait attaqué là les fugitifs. Près de cent cinquante avaient péri, soit fusillés, soit précipités dans la Ravee, que les premières pluies avaient déjà beaucoup grossie. Le reste s’était dispersé, une partie remontant le fleuve, d’autres le traversant au moyen de radeaux improvisés, et se réfugiant sur une île voisine où les villageois n’avaient ni pu ni osé les rejoindre. Ils étaient là, — c’est M. Cooper qui parle, — comme une couvée de gibier sauvage, et bon nombre avaient déjà péri en se jetant à la nage, car la faim leur ôtait leurs forces. Donc toutes circonstances naturelles, artificielles et accidentelles se réunissaient pour assurer aux mutins le sort qu’ils méritaient. La journée était fraîche, les chevaux encore en état, quoique ayant fait leurs vingt-six milles tout d’une traite. Le soleil se couchait, et les révoltés, n’y voyant plus très bien, devaient s’exagérer l’importance des renforts amenés à ceux qui les poursuivaient : ils ignoraient que le tehsildar (le collecteur) avait envoyé à la poursuite de leurs camarades une bonne partie de son monde.

Pour les aller chercher dans leur île, on n’avait que deux mauvaises barques. De plus, quelques-uns des cavaliers étant des Hindostanis, on pouvait craindre qu’ils ne facilitassent quelques évasions déclarées accidentelles ; enfin le nombre seul des fugitifs était un embarras, en supposant même qu’ils se laissassent prendre sans résistance. Comment les passer d’un bord à l’autre? Ici M. Cooper fait une délicate allusion au conte badin du renard, des oies et du sac d’avoine[1]. Nous la supprimerions, pour son honneur, s’il n’ajoutait qu’il récita ce fabliau de circonstance au sirdar sikh et aux autres chefs de sa cavalerie, ce qui leur procura un bon moment de fou rire (caused intense mirth). — Il fallut ensuite prendre un parti, et trente cavaliers, descendus de cheval, furent embarqués pour l’île. On avait eu soin de n’y pas comprendre les compatriotes des misérables qu’on allait saisir, et qui attendaient, glacés de terreur, aflamés, épuisés de fatigue, ces ennemis si joyeux. La traversée dura vingt minutes. Pendant qu’elle s’effectuait, quarante ou cinquante des cipayes, poussés par le désespoir, se lancèrent dans

  1. Le conte analogue, en français, est intitulé le Renard, la Chèvre et le Chou.