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— Tu connais cette femme ? demandai-je à Sid-Abdallah, quand elle nous eut quittés.

Il avait repris son calme. Posément il me répondit : — Non.

— Sais-tu si elle habite Alger ?

— Je ne sais pas.

— Et que te demandait-elle ?

La question était trop directe. Le vieillard hésita, puis, comme il arrive fréquemment en pareil casf il me répondit par un proverbe : « Une tête sans ruse, une citrouille vaut mieux. » En même temps il se leva, mit ses chaussures, et me quitta pour aller, suivant sa coutume, faire sa prière à la mosquée.

Je connais assez Abdallah ou du moins je crois le connaître assez pour savoir que toute allusion à cet incident aurait à l’avenir le double inconvénient de le désobliger et de rester sans réponse. Je jugeai donc que le mieux était de me taire absolument, et je me le promis. Il me reste à consigner dans mon journal que, pour la première fois peut-être de ma vie, j’ai entendu une admirable voix de femme, chose assez rare en tout pays.


16 novembre.

Je suis retourné chez Abdallah aujourdhui. Je m’y trouvais un peu avant une heure, toujours avec le plus ferme propos de demeurer discret, quoi qu’il arrivât. Et cependant n’était-ce pas déjà comme un aveu de curiosité que de mettre dans cette visite du lendemain l’exactitude apparente d’un rendez-vous ?

Nous causions depuis cinq minutes à peine, quand une femme, suivie d’une négresse en haïk rouge, ce qui n’est pas de mode à Alger, apparut au sommet de la rue. Je la vis entrer dans l’ombre de la voûte et s’y arrêter un moment pour rajuster son voile, de sorte qu’au lieu de la suivre, sa servante la précéda. Son costume était irréprochable de blancheur, mais je fus surpris de ne lui voir ni pantalons de ville, ni bas. Deux lourds anneaux d’or emprisonnaient ses chevilles un peu maigres, et son pied nu se dessinait dans des souliers de maroquin noir à hauts quartieis. Eile passa, frappant à chaque pas ses deux anneaux de jambes l’un contre l’autre, comme pour relever sa démarche en la rendant sonore, sans faire un geste, la tête haute et raidie par les plis de sa guimpe, les mains cachées sous ses habits blancs ; seulement je m’aperçus que ses yeux égyptiens s’allongeaient pour me regarder de côté, et le mouvement de la mousseline appliquée sur ses joues comme un moule me fit comprendre qu’elle riait.

C’était bien ma Mauresque d’hier : j’en fus prévenu par je ne sais quel vague avertissement, plus significatif encore que son regard