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sernes, ouvrirent le feu sur la petite colonne, harassée de fatigue, qu’on amenait pour les réduire. La disproportion des forces était évidente entre 250 hommes épuisés par la marche, se battant d’ailleurs à découvert, et 7 ou 800 soldats bien dispos et bien abrités. Toutefois il n’y avait pas à hésiter, et les Anglais attaquèrent, sans même faire halte. La lutte fut acharnée et sanglante. Il fallut chasser de leurs huttes, à la baïonnette, les rebelles qui avaient cru s’y maintenir aisément. Le canon aidant, on y parvint, et les cipayes furent contraints de se réfugier dans un village entouré de murs. Les en déloger n’était pas possible séance tenante, avec des hommes qui, après avoir fait douze milles de marche, venaient de se battre douze heures consécutives. On bivouaqua donc toute la nuit. Le matin, l’ennemi avait disparu, laissant derrière lui près de deux cents morts. « La police, lancée sur leurs pistes, en tua bon nombre dans les îles[1], et cent seize furent exécutés, » nous dit sans plus de phrases l’impassible écrivain dont nous recueillons les précieux témoignages. Il a également jugé à propos de conserver à la postérité une correspondance qui montre comment se traitaient entre les autorités ces sortes d’affaires. Un commissaire-assistant, M. Hawes, écrit à son supérieur, M. Montgomery, lequel en réfère au commissaire en chef sir John Lawrence, pour lui demander ce qu’il faut faire d’un officier et de sept cipayes du 14e pris sur les bords du Jhelum[2]. Ils sont parfaitement convaincus de rébellion. « Tout ce qu’il reste à savoir est s’il faut les pendre sur place ou les envoyer canonner en quelque autre endroit… Ils avaient tous leurs fusils chargés et amorcés, mais la faim les avait mis hors d’état de s’en servir… Je vous serai obligé de m’envoyer de promptes instructions. » À cette lettre, en la renvoyant au commissaire en chef, M. Montgomery ajoute ces simples mots : — J’ai ordonné qu’ils fussent tous pendus. R. M. — Sir John Lawrence retourne la lettre, et, jaloux du laconisme de son subordonné, voici ce qu’il a tracé immédiatement au-dessous de l’apostille qu’on vient de lire : — All right ! J. L.

Sealkote n’est pas loin de Jhelum. Une tranquillité parfaite y avait régné jusqu’au moment où se passèrent les incidens que nous venons de rapporter. Il est vrai que sous cette tranquillité apparente on nous fait entrevoir les projets sinistres des cipayes. « Ils étaient les maîtres, dit M. Cooper, et ils se sentaient suspectés. » Le fait est qu’en apprenant, par un soldat congédié, ce qui s’était passé à Jhelum, les soldats de Sealkote prirent immédiatement leur parti. La lettre de M. Hawes est du 11 juillet ; la révolte de Sealkote est

  1. Les îles formées par les nombreux affluens du Jhelum.
  2. « Les cipayes faits prisonniers en cette occasion étaient, fait-il remarquer, au nombre de neuf ; mais l’un d’eux s’est poignardé dans le bateau, et un second s’est noyé en se précipitant dans le fleuve. »