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même sort, et tous les soldats du 10e dépouillés de leurs armes, de leurs munitions, de leurs uniformes, furent honteusement déportés dans le Caboul, où on les confiait provisoirement à Dost-Mohammed.

Bientôt après, à Peshawur, un exemple solennel allait ouvrir la série de ces retributions, comme disent les Anglais, de ces vengeances, faudrait-il dire, qui ont révolté l’Europe après avoir terrifié l’Inde. Un capitaine en premier (soubadar-major) du 51e avait été saisi au moment où, se déclarant « rebelle depuis plus d’un an; » il annonçait la ruine de l’empire anglais. On avait trouvé sur lui (circonstance aggravante) une somme de 900 roupies. Son procès fut sommairement instruit, et il fut pendu deux jours après en pleine parade. Deux hommes du même régiment furent ensuite accrochés à la potence. Un peu plus tard, le tour du 55e arriva; on forma un immense carré dont deux côtés étaient occupés par deux batteries d’artillerie, autour desquelles se massaient des cavaliers du Pendjab et des fusiliers européens; sur le troisième étaient en bataille cinq régimens indigènes, dont un de cavalerie, placés entre deux régimens d’infanterie anglaise ; immédiatement derrière eux, et dans une direction parallèle, neuf corps de levées sikhes; en face de cette espèce d’amphithéâtre et occupant la quatrième ligne du parallélogramme, une rangée de potences; en avant des potences, dix pièces de canon; enfin, au milieu du carré, quarante malheureux voués à une mort horrible. En moins d’une demi-heure, ils avaient tous péri, attachés à la bouche des canons, et les lambeaux de leurs cadavres jonchaient le sol.

Remarquons-le bien, l’état des esprits ne rendait pas indispensable, à la date où elle eut lieu, cette application terrible de la loi du talion. M. Cooper, qui en relate les détails avec une satisfaction orgueilleuse et odieuse, déclare lui-même que le désarmement du 20 mai à Peshawur avait produit tout l’effet moral qu’on en devait attendre. La veille, Nicholson désespérait du recrutement; les mullicks ou chefs de tribus de la vallée, mandés par lui pour y concourir, lui avaient dit nettement : » Montrez-nous d’abord que vous êtes les plus forts, et nous ne vous marchanderons pas notre aide.» Trois heures après le désarmement, — nous citons mot pour mot M. Cooper, — fidèles à leur parole, ils se pressaient autour du général Cotton, jetaient leurs sabres à terre devant lui, et lui offraient leurs services ainsi que ceux de leurs vassaux. La conclusion de tout ceci est bien, ce nous semble, que le désarmement suffisait, que le massacre était superflu. Or, s’il était superflu, comment l’appeler? Sans répondre à cette question, constatons le succès de la politique adoptée par Nicholson. Il avait relégué les régimens cipayes au-delà de l’Indus, où ils étaient isolés et comme perdus au sein de