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de ce terme. « L’auteur, c’est tout le monde, » lisons-nous dans une courte introduction qui semble résumer le livre, et qui, chose précieuse pour la critique, nous avertit de ce qu’il faut y chercher. Si l’on s’en tient en effet à la forme, ce livre n’est qu’une suite de thèmes sur lesquels le lecteur peut et doit broder toutes les variations qui lui sont propres. « Je bégaierai, votre génie chantera, » dit encore la préface. Le fond des Horizons prochains est donc une sorte de dialogue intime, dont une partie, écrite et précise, est celle de l’interlocuteur visible, l’écrivain, dont l’autre partie, sous-entendue et variable, est celle de l’interlocuteur abstrait, le lecteur. Ainsi, dans les dialogues des moralistes grecs, dans les scènes des tragédies classiques, les objections que fait l’un des deux personnages à l’autre ne sont pour celui-ci que l’occasion de développer sa pensée à nouveau, de la considérer sous de nouvelles faces, et souvent de plaider le pour et le contre successivement. Dans l’espèce de duo qui nous est offert ici, il n’y a pour ainsi dire le composé que l’accompagnement, mais il est composé de telle sorte que nous puissions y adapter notre mélodie individuelle, écrite toutefois dans un certain ton, sans qu’il soit besoin même de transposer la clé. C’est, pour employer une autre comparaison, une pensée malléable, une matière ductile, où il nous est permis de couler notre bronze. Maintenant le bronze en question,

Sera-t-il dieu, table ou cuvette?


Ce résultat est l’affaire du lecteur. Les matériaux lui sont fournis : se montrera-t-il ouvrier ou artiste? That is the question...

Si cependant l’auteur des Horizons prochains n’avait d’autre mérite que de présenter sa pensée comme un moule à la pensée d’autrui, s’il ne pouvait que nous prendre par la main, nous ramener sur une route oubliée, puis, à une certaine limite, manquant d’haleine pour nous accompagner plus loin, s’il était obligé, après nous avoir attaché des ailes, de nous regarder tristement de la terre prendre notre essor vers le ciel, l’individualité que nous nous plaisons à reconnaître en lui consisterait uniquement à s’effacer et à s’amoindrir devant celles qu’elle a pris à cœur d’irriter et de réveiller. Il s’en faut cependant qu’elle se borne à ce rôle. Si tel est le principal emploi qu’elle a résolu de donner à son activité, elle ne se renferme pas tout entière dans cette humble tâche, elle nous offre d’autre part une action et des sentimens qui n’appartiennent qu’à elle, et l’analyse complète de son essence en démontre à la fois l’indépendance et l’unité. Ce n’est plus alors dans les contemplations générales de notre destinée, dans ses rapides odyssées à travers la nature, qu’il nous faut considérer cet esprit : c’est dans les faits qu’il s’est complu à retracer, dans les petits drames qu’il raconte, dans l’examen des personnalités qu’il fait agir. Nous toucherons ainsi au principal objet de ses manifestations; nous aurons, en l’élucidant, la clé de toutes ses impulsions morales.

Toute âme qui a vécu, tout esprit qui n’a plus d’illusion que dans le souvenir, parvenu à une certaine période de l’existence, se bâtit, autant par besoin que par conviction réelle, un fonds de croyances auxquelles il se résout à demeurer attaché. Ces croyances sont puisées dans l’intelligence ou dans le cœur, elles forment des démonstrations ou des sentimens. Le senti-