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les promenades dans la campagne, les exploits de natation de Maxime, les mésaventures aquatiques de M. de Bévallan, ont dû disparaître également, le drame ne pouvant jouir des franchises du roman. M. Feuillet a dû comprendre plus d’une fois, à mesure qu’il découpait en scènes de comédie les pages de son récit, combien cette coutume, aujourd’hui universellement répandue, de présenter la même idée sous deux formes aussi différentes que celles du drame et du roman est peu légitime et peu conforme aux véritables lois du goût. Les conceptions de l’imagination ne se prêtent pas indifféremment à toutes les formes ; il est impossible qu’une idée qui s’est présentée à la pensée d’un auteur sous la forme d’un roman puisse se retrouver identiquement la même sous la forme d’un drame. Mille nuances, nécessaires à l’explication des caractères, devront être supprimées. Telle action qui, dans le roman se comprenait sans effort devient choquante à la scène, lorsqu’elle éclate brusquement, sans que l’imagination du spectateur ait été préparée à l’accepter par les minutieuses explications de l’auteur. Telle situation qui paraissait naturelle lorsqu’on lui accordait pour se développer un long espace de temps devient incompréhensible lorsqu’on la voit resserrée dans la courte durée d’un drame. Le duel de point d’honneur entre Marguerite, qui veut être sûre de ne pas être aimée pour sa fortune, et Maxime, qui veut mettre sa pauvreté à l’abri de tout soupçon, se comprend mieux dans le roman qu’à la scène. Dans le roman, nous accordons aux personnages le bénéfice des jours et des heures ; tel soupçon a mis une semaine à couver, chaque journée a amené son contingent de petites aventures : par conséquent, quelque surprenante qu’elle puisse être, la situation n’a rien de brusque et d’inexplicable ; mais dans le drame le duel s’engage sous nos yeux, se poursuit sans paix ni trêve, se prolonge sans merci. Chaque explication, au lieu de réconcilier les adversaire et de leur mettre la main dans la main, ne fait que les séparer plus profondément et les éloigner davantage l’un de l’autre. La dignité de Marguerite finit par paraître insolente, et l’amour de Maxime par paraître humble. Marguerite exige trop, et Maxime est disposé à trop accorder. Après le saut périlleux de la tour, que peuvent signifier pour une fille sensée les commérages de Mlle Hélouin ? Autre chicane : des deux tableaux qui composent le cinquième acte, le premier nous paraît de trop. Ce tableau est rempli par la mort du vieux corsaire Laroque, qui à l’heure de l’agonie reconnaît les traits héréditaires des Champcey. À quoi sert l’exhibition de ce vieux scélérat, puisque M. Feuillet n’a pas employé cet incident pour dénouer la situation, qui reste aussi embarrassée qu’auparavant ? Mais à quoi bon multiplier les critiques ? Ce drame sans doute n’est