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sive serait, non pas un long roman, mais un petit drame, s’appellerait Dalila et non Bellah. La préoccupation de frapper un grand coup me semble se trahir dans ce roman; mais le succès se rit un peu de nos efforts, et on peut dire de lui ce que le calife Omar disait de la destinée : « Le succès cherche après toi, c’est pourquoi ne le cherche pas. » Notre volonté n’est pas toujours heureuse dans ses tentatives, et nous ne sommes jamais aussi près de réussir que lorsque nous ne faisons aucun effort pour appeler la fortune. L’exemple de M. Feuillet prouve une fois de plus que l’œuvre décisive d’un auteur n’est pas celle à laquelle il a mis le plus de sa volonté, mais celle qu’il doit à quelque fortuite inspiration de son génie. Quelque aimable que soit le roman de Bellah, c’est une œuvre qui n’a pas de signification marquée. J’entends par œuvre qui n’a pas de signification marquée — une œuvre dont on ne voit pas la raison d’être, la nécessité ou l’utilité, une œuvre écrite non parce que l’auteur a fait une découverte morale, particulière, ou a été favorisé d’une inspiration originale, mais parce que la fantaisie errante de son esprit lui a présenté un sujet que son imagination peut exploiter. Ce défaut capital de Bellah est d’autant plus frappant que M. Feuillet l’évite d’ordinaire, et qu’il ne prend la plume que lorsqu’il lui arrive d’avoir à dire quelque chose de nouveau. On peut critiquer plus ou moins la manière dont il exécute ses pensées; mais toutes ses œuvres sont le fruit d’une conception. Je comprends très bien la raison d’être, la signification de Dalila, de la Petite Comtesse, du Roman d’un jeune homme pauvre, de la plupart des petits proverbes; mais quelle est la signification de Bellah? Il m’est difficile d’y voir autre chose qu’un gracieux et amusant récit. Évitons autant que possible les récits qui ne sont qu’amusans, les comédies qui ne sont que gaies, les drames qui n’offrent qu’une succession de péripéties émouvantes; ce sont clés œuvres qui ne classent pas un nom, et qui n’auront jamais une grande influence dans le domaine de l’art.

Dalila fut l’œuvre décisive qui manquait à M. Feuillet. Avec Dalila, M. Feuillet a obtenu deux résultats importans. D’abord il a obtenu ce qu’il cherchait depuis longtemps, un succès populaire. Après Dalila, le nom de M. Feuillet, prononcé seulement dans les salons, dans les réunions d’artistes, parmi les dilettanti, a été répété par le vaste public des lecteurs, et enfin acclamé par la grande voix de la foule. Ensuite il a prouvé, ce dont quelques-uns de ses amis doutaient eux-mêmes, qu’il avait en lui la puissance que doit avoir tout vrai poète, celle de se renouveler et de se métamorphoser. Il fit retentir une corde qu’on ne soupçonnait pas à son talent. Dans Dalila, il montra qu’il était désormais capable d’émouvoir autant