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de caprices de l’esprit, de rêves du cœur. Tous plus ou moins me rappellent la belle Portia de Shakspeare disputant avec des docteurs in utroque jure. Cette scolastique mondaine est loin de nous déplaire, car c’est par elle que dès le début M. Feuillet a marqué son originalité, et s’est affranchi de l’influence d’Alfred de Musset. Nous préférons très franchement ceux de ces proverbes qui ne sont qu’une longue et subtile conversation à ceux qui ont des prétentions dramatiques. Le Pour et le Contre et la Partie de Dames, par exemple, nous paraissent supérieurs à Rédemption, qui cependant a obtenu un succès plus populaire. Dans tous les proverbes dramatiques ou de pure fantaisie, Alix, Rédemption, le Fruit défendu, je trouve des traces d’Alfred de Musset, et je pense invinciblement à Lorenzaccio ou aux Caprices de Marianne. Cette influence est visible, non-seulement dans la composition générale, dans la tournure des personnages, dans l’allure des passions, mais jusque dans les détails. La plaisanterie par exemple, la plaisanterie de M. Octave Feuillet dans ces proverbes est celle d’Alfred de Musset, une plaisanterie poétique, fantasque, et surtout toujours hyperbolique. Au contraire, dans les proverbes que j’appellerai de scolastique amoureuse et matrimoniale, Octave Feuillet est bien lui-même : imagination plus distinguée qu’hyperbolique, esprit plus subtil que fantasque. Il n’est plus excessif, comme Alfred de Musset; il est réservé et plein de tact, comme la nature l’a créé. La conversation, abondante en nuances habilement fondues, se soutient sans effort; l’idée, généralement très fine et quelquefois ténue, apparaît précise, claire et vive, comme une flamme qu’un enchanteur aurait enfermée dans une prison de cristal. Un des grands mérites du talent de M. Feuillet, c’est que son analyse des sentimens, qui est généralement délicate, n’est jamais obscure, et que sa jurisprudence morale rend toujours ses arrêts, quelles que soient les difficultés de l’interprétation, avec une précision de termes qu’on ne saurait trop louer.

Cette finesse n’exclut pas une certaine profondeur. Je ne sais si M. Feuillet serait un grand philosophe de l’amour, et s’il pourrait nous donner une métaphysique médicale, de cette importante maladie morale; ce qui est certain, c’est qu’il est un praticien très habile, et qu’il s’entend à merveille à diagnostiquer quelques-unes des affections du cœur. Il y a dans ses proverbes quantité de traits pénétrans et de descriptions de symptômes que Marivaux, — un grand connaisseur du cœur humain, quoi qu’on puisse dire, — n’eût certainement pas désavoués. Cependant, pour être aussi précis que possible, je dirai que M. Feuillet excelle plus dans la description que dans le trait; il a plutôt l’art d’analyser et d’observer que celui de formuler en axiomes ses observations. Ne le consultez pas comme