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IV.

Le 12 mai, à six heures du soir, la révolte de Delhi était complète. Les malheureux fugitifs, qui avaient cru pouvoir faire halte à côté des cantonnemens, s’étaient hâtés de se disperser dans toutes les directions, les uns vers Umballa, les autres vers Kurnaul, le plus grand nombre du côté de Meerut. Beaucoup périrent assassinés sur les routes. Ceux qui arrivèrent à bon port trouvèrent partout un accueil fraternel. Le coup de foudre qui menaçait tous les Anglais de l’Inde les avait réunis en une grande famille. Étrangers la veille les uns aux autres, ils se serraient la main à première vue « avec une sympathie intense, » disait l’un d’eux dans une lettre au Times.

A Meerut, les chefs militaires, absorbés dans le souvenir de leurs fautes et des occasions perdues, attendaient que quelques renforts vinssent leur permettre de quitter la station et de se porter en avant. Le temps de l’initiative était passé pour eux. Il leur fallait maintenant les ordres du général Anson, commander in chief de l’armée du Bengale. Nous avons dit qu’il chassait dans les montagnes au moment où l’insurrection éclata. Pendant près de trois semaines, on fut à Calcutta sans nouvelles de lui; enfin le 18 mai il parut à Umballa, ramenant sur ses pas les régimens européens de Sealkote, Dughsi et Kussowlee; mais là, il lui fallut attendre des canons et un matériel de transport. Ni artillerie ni bêtes de somme n’étaient encore disponibles. Irrité de ces délais, stimulé par le remords de ne s’être pas trouvé en temps opportun à son poste, Anson, aussi brave soldat que général négligent, voulait marcher sur Delhi sans rien attendre. «Les canons suivraient, disait-il, on vivrait de réquisitions, on prendrait des chameaux en route. » Malheureusement l’intendance faisait défaut, et avec elle les chariots, les palanquins, les porteurs. La caisse militaire ne pouvait tenir lieu de tout. Y trouverait-on une pharmacie de campagne? Devant cette dernière objection, le général Anson s’inclina. Toutefois les soucis rongeaient sa santé déjà délabrée. Il mourut à Kurnaul le 27 mai, brusquement enlevé par une attaque de choléra. Le commandement en chef se trouvait dévolu, par les règlemens militaires, au plus ancien de ses collègues, sir H. Barnard, récemment arrivé, de Crimée, où il remplissait près de lord Raglan les fonctions de chef d’état-major.