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conducteur Buckley, soulèverait le chapeau qu’il portait, sur l’ordre que lui en donnerait Willoughby. On voulut ensuite distribuer des armes aux gardiens indigènes de l’établissement; mais ils ne les prirent qu’avec une répugnance évidente, et il était clair qu’on ne pouvait compter, de leur part, sur aucune aide.

Ces arrangemens étaient à peine terminés quand des gardes du palais vinrent, au nom du roi de Delhi, demander la remise de l’arsenal. Aucune réponse ne fut adressée à cet insolent message. Le subadar de garde avertit peu après Willoughby que les insurgés rassemblés aux portes attendaient des échelles que le roi leur avait fait promettre. Les échelles arrivèrent effectivement, et dès qu’elles furent appliquées aux murs, tous les gardiens indigènes, sans exception, en profitèrent pour s’évader. Ils n’avaient pas négligé auparavant de cacher les sacs d’amorces, ce qui indiquait assez leurs dispositions hostiles. L’un d’eux d’ailleurs s’était constamment tenu en communication avec les rebelles, avertis par lui de tout ce qui se passait à l’intérieur du bâtiment. «Willoughby était si indigné de la conduite de ce misérable, dit le lieutenant Forrest dans sa dépêche, qu’il m’avait prescrit de lui tirer dessus, s’il osait se représenter devant-nous. »

Restés seuls, les neuf Anglais se défendirent aussi longtemps que la résistance fut possible. Tous les canons mis en position tirèrent au moins quatre fois, et les insurgés qui osèrent se montrer au faîte des murs furent écrasés de mitraille. Ils étaient au nombre de plusieurs centaines, et leur feu continu, à courte distance (de quarante à cinquante mètres) ne resta pas longtemps sans effet. Buckley avait déjà le bras traversé d’une balle, et le lieutenant Forrest avait reçu deux blessures à la main gauche, quand Willoughby, voyant tout compromis, donna le signal... Obéi à la minute même, il put savourer sa vengeance, car l’explosion, qui emportait dans les airs environ un millier d’ennemis, le laissa vivant, lui et tous ses compagnons. Tous étaient plus ou moins atteints, plus ou moins mutilés; ils purent tous cependant gagner la porte donnant du côté du fleuve, et s’échapper ensuite par celle qui porte le nom de Cachemyr. Une fois dans la campagne, ils se perdirent de vue. Quelques-uns périrent sans qu’on ait jamais su comment. Quant à Willoughby lui-même, une singulière divergence existe dans les ouvrages d’après lesquels nous écrivons. M. Mead[1] le représente arrivant à Meerut, noir de poudre, couvert de plaies et y mourant d’épuisement après quelques jours d’agonie. M. Rotton en revanche, qui, à cette époque même, n’avait pas encore quitté Meerut, déclare que la des-

  1. The Sepoy Revolt, etc.