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on amena les sept compagnies du 34e qui, occupant la station à l’époque du complot, devaient être punies pour y avoir trempé. On leur fit sur place poser leurs armes et dépouiller l’uniforme qu’elles avaient déshonoré. On leur lut l’ordre du jour, longuement motivé, qui les déclarait exclues de l’armée. L’arriéré de solde fut distribué à chaque officier, à chaque soldat, et sous bonne escorte ils furent dirigés en colonne sur le point où on devait les embarquer pour les conduire à Chinsurah. Leurs bagages et leurs familles y avaient été expédiés d’avance. Tout ceci s’accomplit sans ombre de résistance; mais un des témoins de cette scène imposante raconte que, dans l’après-midi du 6 mai, il rencontra un des officiers licenciés, lequel se plaignait amèrement de se voir complètement ruiné par suite d’une révolte à laquelle il était resté étranger. « — Pourtant, lui disait-on, vous saviez ce qui se tramait parmi vos hommes? — J’en conviens, je le savais, répondit-il: mais dites-moi, vous qui parlez, ce qu’il fallait faire. Si j’avais dénoncé mes frères brahmanes, j’étais sûr qu’ils me tueraient, et encore ma mort n’aurait-elle servi de rien, car à mon témoignage isolé ils en auraient opposé par centaines, qui m’eussent convaincu ou de folie ou de parjure aux yeux de mes supérieurs. »

Ainsi se trouvait conjuré pour le moment un péril plus grave qu’on ne le supposait. Il allait bientôt se reproduire, moins pressant, mais tout aussi terrible, dans d’autres parties de l’empire indien. C’était toutefois un grand point de gagné, que le siège central du gouvernement demeurât intact, et que les désastres à venir, si l’on en devait craindre, ne portassent pas le désordre dans la capitale même.


II.

Généralement bons cavaliers, les Anglais emploient volontiers dans leur idiome politique des locutions empruntées au vocabulaire de l’art équestre. Si nous voulions les imiter en ceci, nous dirions, à propos des premiers symptômes de la rébellion des cipayes; que, monté sur un cheval ombrageux, celui qui le guide doit être attentif aux moindres signes d’émotion, et, dès qu’il les constate, se raffermir en selle, rassembler les rênes, assurer ses étriers. C’est ce que ne sut pas faire le gouvernement anglo-indien après les tentatives avortées de Dum-Dum et de Barrackpore. Deux mois et demi s’étaient écoulés depuis que la première alarme lui avait été donnée, et aucun ordre n’avait été envoyé de Calcutta pour mettre sur leurs gardes les délégués de l’autorité centrale. Toutes les forteresses, tous les arsenaux restaient sous la garde des cipayes. Dans beaucoup de stations, et des plus importantes, il n’y avait que des offi-