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indiquer que les coupables devaient appartenir à ce corps. D’ailleurs des meetings nocturnes avaient été dénoncés. Les cipayes s’y rendaient pour discuter entre eux les moyens à prendre afin d’empêcher le gouvernement de « détruire leur religion. » Devant une cour d’enquête formée pour examiner tous ces faits, un lieutenant indigène avait comparu, qui, dans la nuit du 5 février, réveillé par des cipayes de sa compagnie et les ayant suivis sur le champ de parade, y avait trouvé une nombreuse assemblée dont tous les membres sans exception, coiffés de leurs draps de lit, ne laissaient voir qu’une moitié de leur visage. Ils lui avaient demandé de se joindre à eux et de prendre part à un soulèvement qui devait éclater la nuit suivante. On égorgerait les Européens surpris dans leur sommeil, on livrerait leurs habitations au pillage, et on irait ensuite où l’on voudrait. Tous ces détails sont consignés dans un rapport officiel du général Hearsey en date du 11 février. Le général signalait au gouvernement le danger auquel on s’exposait en conservant auprès de la capitale une brigade entière composée uniquement de corps indigènes, et il concluait par ces lignes significatives : « Vous remarquerez que dans toute cette affaire les officiers indigènes n’ont été d’aucun usage. Au fond, ils ont peur de leurs hommes, et pas un n’ose prendre d’initiative. Leur action se réduit à se tenir à l’écart, espérant ainsi que leur non-participation suffira pour les exempter de blâme. C’est ce qu’on a toujours vu en pareille occasion, c’est ce qu’on verra toujours, aussi longtemps que nous dominerons l’Inde. Sir Charles Metcalfe avait bien sujet de dire qu’il s’attendait à apprendre un beau matin, en s’éveillant, la ruine entière de notre empire dans l’Hindostan. »

Quelques autres officiers tenaient un langage plus consolant et plus rassurant, entre autres le colonel Wheeler, du 34e qui déclarait ses hommes parfaitement édifiés sur le compte des nouvelles cartouches et inébranlables dans leur fidélité au drapeau. Cet optimisme trouvait bon accueil dans les hautes régions du pouvoir, ainsi qu’il appert des communications échangées à cette date entre le gouverneur-général et la cour des directeurs. Les cipayes d’ailleurs fabriquaient maintenant leurs cartouches; on avait imaginé de plus une manière de charger qui les dispensait de porter à leurs lèvres ces engins suspects; enfin, par surcroît de précautions, il était secrètement enjoint aux officiers instructeurs de ne plus faire charger les carabines Enfield jusqu’à ce qu’on se fût procuré des cartouches irréprochables. Ces mesures prises, on se fiait au calme en apparence retrouvé, nonobstant qu’on eut surpris çà et là quelques indices de communications établies par messagers d’une garnison à l’autre.

Les choses traînèrent ainsi jusqu’au 19 février, où le 19e d’infan-