Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’humeur monte, et des exagérations puériles viennent arrêter l’essor des pensées les plus sages et les plus vraies. La liberté des Anglais, dit-il, est dans leur esprit public : « ce qui est écrit n’est rien, » comme si leurs chartes successives, simplement déclaratoires, si l’on veut, n’avaient pas été en même temps des points d’appui pour cet esprit public, et des points de repère pour passer d’un droit acquis à un autre! « Plus on écrit, dit-il encore dans sa colère, plus l’institution est faible. — L’écriture, même postérieure, est pour ces institutions le plus grand signe de nullité….. A mesure qu’elles sont parfaites, elles écrivent moins Ce qu’il y a d’essentiel et de fondamental ne saurait être écrit sans exposer l’état.... La faiblesse et la fragilité d’une constitution sont précisément en raison directe de la multiplicité des articles écrits. La constitution essayée pour sauver la Pologne a été vaine et malheureuse parce qu’elle a été écrite. On dira : Rien n’y manque, tout est prévu, tout est écrit, et précisément parce que tout sera prévu, discuté et écrit, il sera démontré que la constitution est nulle. »

Ainsi, règle générale, nulle constitution écrite ne saurait être légitime. C’est une règle que de Maistre donne pour infaillible. « Plus il y aura d’hommes qui s’en seront mêlés, plus ils y auront mis de délibération, de science et d’écriture surtout, et enfin de moyens humains dans tous les genres, et plus l’institution sera fragile. » C’est dans le même trouble de l’esprit qu’il prédit hardiment que la ville de Washington ne sera pas bâtie, ou ne s’appellera pas Washington, parce que les hommes ont écrit dans une loi qu’il en serait ainsi. Son tort est ici de voir trop exclusivement ce qu’il voit, et d’oublier, en regardant d’un côté, les autres faces qu’il a cependant déjà reconnues, mais auxquelles il ne pense plus. Occupé avant tout des lois générales de la Providence, l’action particulière de l’homme s’efface trop de son esprit; cette chaîne souple qui nous rattache au trône de l’Éternel, en nous laissant pourtant une assez grande latitude dans l’ordre immuable des choses, semble entièrement contractée. La liberté humaine, la coopération de l’homme à sa propre destinée, il semble l’absorber dans une sorte de fatalisme qu’on lui a plus d’une fois reproché[1]. On a eu tort : ce ne sont que les contradictions de la fougue; ce sont des vides dans la pensée; ce sont encore, ce qui est pis, de mauvais alliages, des ressentimens incurables, des partialités étroites. Il a des vérités d’or qui ne sortent qu’à moitié d’une gangue sans valeur. Plus calme, plus à la hauteur de son propre esprit, il eût montré lui-même, c’en était bien l’occasion, que la plus belle prérogative de l’homme est précisément de déclarer par sa raison, d’écrire dans

  1. Revue d’Edimbourgg, octobre 1852.