Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auteur unique qui fonde la nation, en constitue les élémens, apparaît aux hommes comme un phénomène, et s’en fait obéir. Dans le premier cas, la constitution ne résulte pas d’une délibération; a les circonstances y font tout; les hommes ne sont que des circonstances; les actes constitutifs ne sont que des titres déclaratoires de droits antérieurs, dont on ne peut dire autre chose, sinon qu’ils existent parce qu’ils existent. » Et quand les hommes s’en mêlent outre mesure, il arrive qu’en courant à un but, ils en atteignent un autre auquel ils ne songeaient pas : observation très choquante, il est vrai, pour la sagesse humaine, mais que des souvenirs assez récens doivent nous faire supporter.

Partout donc, à l’origine, on trouve non-seulement des coutumes et des lois, mais « un souverain et une aristocratie, qui n’ont ni date ni auteurs. » dans la suite des temps, du sein de cette organisation élémentaire et restreinte s’élèvent et grandissent les classes inférieures de la population. Le peuple acquiert des droits, assez souvent par la concession des souverains : ceux-là ont une date; mais ces concessions mêmes ne sont pas volontaires, ni absolument du fait de l’homme; elles étaient précédées d’un état de choses qui les nécessitait et ne dépendait de personne. Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’il y a une action individuelle, ou de puissans législateurs à l’origine des états, il ne faut pas croire qu’ils soient puissans par eux-mêmes, que leur mission n’ait pas été préparée de longue main, ni qu’ils produisent rien de nouveau. Ils sont rois, ou nobles de haute race, c’est-à-dire qu’ils ont un passé qui les a faits ce qu’ils sont, et qui leur sert de piédestal; ils n’agissent point en vertu de leur science, ils n’opèrent point par le raisonnement; ils apparaissent revêtus d’avance d’une puissance indéfinissable. Ils parlent, et on leur obéit : ils commandent par instinct, par impulsion, par une certaine force morale a qui plie les volontés comme le vent courbe une moisson; » mais encore, avec cette puissance extraordinaire, a ne font-ils que rassembler des élémens qui préexistent dans les coutumes et le caractère des peuples, » et de plus c’est au nom de la Divinité qu’ils se présentent. « On distingue à peine le législateur du prêtre, » et leurs institutions, comme celles de Numa, consistent surtout en cérémonies et fêtes religieuses. Au reste, « ces hommes merveilleux, ajoute-t-il très-judicieusement, n’appartiennent peut-être qu’au monde antique et à la jeunesse des nations, » c’est-à-dire à ces époques peu connues où les récits populaires personnifiaient dans quelques personnages réels ou fictifs de longues suites d’événemens. A vrai dire, ces grands législateurs n’ont point d’existence authentique, et tout se ramène à la formation lente et progressive décrite en premier lieu.

Ainsi jamais nation n’a pu se donner la liberté (ou plutôt écrire