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vrai grief contre elle, qui était le vrai principe de sa haine, et que, dans la confusion du bouleversement, il n’avait point su séparer assez des élémens durables et légitimes. Il l’aurait vu disparaître, non devant des mandemens ou des index appuyés du bras séculier, mais par la force d’une discussion loyale et acceptée. Il eût vu, par la pratique des institutions libres, se rétablir sous une forme plus grande et plus sûre cette fonction politique des classes supérieures, qui les améliore elles-mêmes et justifie leur existence, tout en élevant la pensée publique par l’examen toujours ouvert des plus hautes questions. Il eût vu, dans cette chaleur des esprits, féconde en combinaisons nouvelles, ses propres idées fermenter même parmi ses adversaires, prendre une place dans la philosophie, se répandre dans l’histoire, susciter une littérature, une poésie, un art animés de sève chrétienne. Malheureusement il n’a pu connaître que les trois ou quatre premières années de ce nouvel âge, années tracassières, réactionnaires, agressives, dernières ébullitions d’une si longue tempête ; mais s’il eût eu le temps de voir encore, avec une santé meilleure et un esprit plus calme, se démêler les énigmes d’une révolution finie, s’expliquer les équivoques, se résigner les passions, qui peut douter qu’il n’eût donné une éclatante adhésion aux choses nouvelles, lui, cet esprit si attentif aux signes des temps, qui semblait même quelquefois les devancer, et qui, sans jamais suivre lâchement le va-et-vient des opinions régnantes, s’attachait toujours à déchiffrer dans les événemens les caractères durables et marqués du sceau providentiel? Pour quiconque l’a beaucoup lu, il serait bien impossible, malgré sa hauteur et son âpreté, de le comprendre en dehors de ce beau groupe italien des Manzoni, des Balbo, des Pellico, des Rosmini, et de tant d’autres du même rang par l’esprit et par l’âme. Le ciel de la patrie l’aurait adouci, et il n’eût point fait dissonance parmi eux. Qu’est-ce donc après tout que cette aspiration de l’Italie à l’indépendance, si ce n’est sa propre aspiration? Qu’est-ce que cette effervescence publique du Piémont contre l’Autriche, si ce n’est sa propre haine, sa haine cordiale et convaincue, rapprochée de l’action par un concours universel? Qu’est-ce que cette pensée de construire le Piémont sous l’amphithéâtre des Alpes, pour servir de forteresse à l’indépendance italienne, si ce n’est sa propre pensée réchauffée et vivifiée dans l’embrassement de la liberté politique?


II.

On a déjà pu remarquer que, soit dans son premier ouvrage, soit dans ses lettres, lors même qu’il n’est question que d’affaires particulières ou des événemens du jour, de Maistre vise naturellement